
La Convivialité IV
Journal d’Anthropocène après un déménagement en Avesnois
Quatrième partie : 14 janvier 2025 – 14 avril 2025
La lectrice ou le lecteur souhaitant connaître la raison d’être de ce journal peut en lire l’introduction, exposée en préambule à sa première livraison 1.
14 janvier
Levé à sept heures. Feu, café. Longue journée de vidéo-conférences pour VU’. À la faveur d’un rendez-vous annulé, pu tout de même ranger mes bagages et documents, et trouver une place à la Graflex d’Olivier jusqu’à ce que je conçoive un moyen de développer les plans films neuf par douze qu’il m’a donnés. Soirée calme, mais déjà demain je repars.
15 janvier
Levé à six heures et demi. Feu, café. Frayé avec Marie un chemin vers la gare à travers un brouillard dense. Train vers Paris. Tout le paysage est dans la brume. Passé chercher les clefs de l’appartement. À pieds vers le boulevard Beaumarchais pour tenter de trouver des châssis pour ma petite chambre neuf par douze. Bredouille. Plus personne ne fait ce genre de chose. Puis en métro vers VU’. Pierre-Olivier Deschamps est là. Il s’enthousiasme devant le ferrotype que j’ai apporté. Parlé de son ami Guillaume, dans la Drôme, que je n’ai jamais rencontré, mais à qui j’ai pensé lors de la réouverture de la cathédrale de Paris, car c’est lui qui a réalisé le mobilier liturgique. Longue après-midi avec les stagiaires à l’Agence. Une bière avec Mathias dans le patio une fois que tout le monde a quitté les lieux. Rentré à l’appartement en remontant un bouquet de renoncules pour Agnès et un repas pour moi. Repensé avoir entendu quelqu’un de connu, je ne sais plus qui, parler avec simplicité du problème du rapport entre l’artiste détestable ou devenu tel et son œuvre inspirante. Il disait, c’était un homme : ce n’est pas une question d’éthique : si je n’écoute plus ou ne regarde plus telle ou tel artiste ou œuvre, ce n’est pas pour des raisons morales intellectuellement construites, c’est simplement parce que le lien s’est brisé. Cette parole m’a fait du bien.
Grand-Fayt – Aulnoye-Aymeries – Grand-Fayt, 24,4 km en automobile, 2,220 kg de CO2.
Aulnoye-Aymeries – Paris-Nord, 217 km en train, 5,500 kg de CO2.
Gare du Nord – Voltaire, distance inconnue, métro lignes 4 et 9, 0,014 kg de CO2.
Saint-Paul – Trinité-d’Estienne d’Orves, distance inconnue, métro lignes 1 et 12, 0,019 kg de CO2.
Chaussée d’Antin-La Fayette – Voltaire, distance inconnue, métro ligne 9, 0,016 kg de CO2.
16 janvier
Levé à huit heures. Je suis en retard pour la publication de la deuxième livraison de ce journal, que j’espérais en ligne hier. À VU’ avant dix heures. Longue journée d’accompagnement individuel pour les cinq participantes et participants de l’atelier. Montré mon ferrotype à Patricia. Mathias aussi l’avait vu hier. Train du soir retour vers la maison. Laissé Marie à la chorale et rentré seul.
Voltaire – Chaussée d’Antin-La Fayette, distance inconnue, métro ligne 9, 0,016 kg de CO2
Paris-Nord – Aulnoye-Aymeries, 217 km en train, 5,500 kg de CO2.
Grand-Fayt – Aulnoye-Aymeries – Grand-Fayt, 24,4 km en automobile, 2,220 kg de CO2.
17 janvier
Levé à sept heures. Feu, café. Travaillé pour le Bec en l’air sur le catalogue des acquisitions jusqu’à pas loin de seize heures. Morvan et Anne-Isabelle, en chemin de Bruxelles à Nantes, font halte chez nous pour la nuit. Cuisiné un curry d’agneau et un de haricots en buvant du Sancerre et en refaisant le monde.
18 janvier
Levé à sept heures et demie. Feu, café. Petit déjeuner avec les amis. Après leur départ, travaillé pour le Bec en l’air puis deux heures avec Marin Driguez. Rien de plus.
19 janvier
Journée seul, Marie à la chorale. Cherché des oiseaux. Disposé le Leica dans le jardin, près de la mangeoire, prêt à déclencher à distance depuis la maison. Mais ils évitent méthodiquement le champ intercepté par l’objectif. Les ingrats. Je comprends pourquoi Jean-Luc Mylayne a mis cinquante ans à réaliser quelques dizaines de tableaux seulement. Le reste de la journée, écriture, relecture et édition de ce journal en vue de la publication d’une seconde livraison.
20 janvier
Levé avant sept heures. Au garage à neuf pour l’entretien de l’automobile. Au retour, fini de préparer la publication de ce journal. Découvert deux guitaristes grecques, Antigoni Goni et Zsófia Boros, et la suite Koyunbaba de Carlo Domeniconi, qu’elles jouent toutes deux. En boucle toute la journée. Sauf quand le téléphone a sonné en affichant le nom de Pierre Duba. Je lui avais envoyé ma carte de vœux comme chaque année. Six ans de silence. Il téléphone mais ne répond pas. Puis il m’envoie une image représentant une poule. Un magnifique entretien existe, qu’il n’a jamais fini de relire. « J’ai mal à ma vie », disait-il les dernières fois qu’il communiquait.
Grand-Fayt – Avesnes-sur-Helpe (garage) – Grand-Fayt, 23,9 km en automobile, 2,175 kg de CO2.
21 janvier
Levé à sept heures. Feu. Terminé mon café en tenant de photographier à distance le parterre sous la mangeoire, où tous les matins les oiseaux picorent les graines éjectées d’en-haut. Rien. Quelques minutes avant que je remette en place mon dispositif ils étaient nombreux, mais à présent, évitant la zone, et dansant en rigolant sur la mangeoire. Je suis allé les chercher où ils se cachent : dans la haie. Photographie intéressante, mais si différente du reste que peut-être sortant du sujet. Mis en ligne la deuxième partie de ce journal, de mi-juillet au retour de Dinard. Publié aussi sur mon blog le texte écrit l’été dernier pour Dominiq Jenvrey, dont je suis sans nouvelles. J’ai peur que cette parution soit sinon annulée en tout cas reportée sine die. C’aurait pourtant été une belle réalisation à présenter dans mon compte rendu à la Drac. Mais sans ce texte, il me semble qu’on comprend moins ce journal. Du reste j’imagine que ce n’est pas parce qu’il est sur ce blog qu’il ne peut pas non plus être accessible ailleurs. Relancé Dominiq pour savoir où il en est. Angelo au téléphone.
22 janvier
Levé à sept heures. Feu, café, Kantipur, trois heures fondues dieu sait où et comment. Marie partie avec son père à Valencienne rapporter à sa propriétaire le tableau qu’elle a restauré. À dix heures, Natacha Cyrulnik au téléphone. Première fois que nous nous parlons depuis l’échec de ma candidature à la thèse de recherche et création d’Arles. Toujours ce bel équilibre de nos discussions. Une fois l’an c’est un peu maigre. À renouveler plus souvent. Puis en route vers le contrôle technique de Landrecies pour notre automobile, où j’ai pris rendez-vous en urgence après avoir constaté que j’étais trois mois et demi en retard. Avoir préparé la publication de la deuxième livraison de ce journal hier en sélectionnant les passages qui me semblaient relever de ma question de recherche a soulevé des doutes sur la pertinence de cette entreprise. Je dis en introduction de ce journal qu’il « est une tentative de garder trace des réflexions, prises de positions, actions, aspirations et contradictions déclenchées par [notre déménagement], et de leurs conséquences personnelles, professionnelles, créatives, écologiques ou anthropologiques ». À bien me relire, est-ce bien ce qu’effectuent ces pages : garder trace d’une recherche artistique et d’un choix écologique ? Ne s’agit-il pas plutôt d’un simple journal consignant mes négociations avec le fil des jours pour exister ? Stimulé et bouleversé par la lecture régulière des Carnets de notes de Pierre Bergounioux, ne me laissé-je pas aller à l’idée que moi aussi j’ai le droit de raconter ma vie, mais sans être Pierre Bergounioux et surtout sans avoir une œuvre qui installe mes propres notes quotidiennes dans une légitimité ? Jean-Marc au téléphone le soir.
23 janvier
Levé à sept heures. Depuis quelques jours Marie se lève aussi en même temps que moi. Cherché des oiseaux. Trouvé toujours la même bande de moineaux domestiques, mais à des endroits nouveaux. Et dans les grands arbres au loin, les écureuils courent le long des branches, et un pic épeiche pique.
24 janvier
Levé à six heures et demie. Un message de Dominiq Jenvrey, gentil, mais m’annonçant que son dossier pour Les Temps qui restent ne sera pas publié tel qu’il l’avait imaginé. Il veut toujours publier mon article, mais ne sait quand il le pourra. Partis à Bruxelles pour passer quelques heures avec Olga et son amie Sophie. Marie reste ensuite avec elles quand moi, je vais rencontrer David Clément, collègue d’Isabelle Detournay, chimiste et spécialiste du cyanotype. Déjeuné ensemble dans un restaurant portugais proche de la barrière de Saint-Gilles. Gentiment, il m’a apporté du rouge de Prusse et du citrate d’ammonium pour que je puisse essayer. Route retour difficile. Dû quitter l’autoroute pour cause de bouchons provoqués par un accident. Mis plus de deux heures à rentrer avec de longs détours. Ressorti chercher Francis et Agnès à la gare le soir, de bonne humeur. Première fois que nous recevons Agnès, et seulement seconde fois Francis, qui était venu à Nyons autrefois.
Grand-Fayt – Bruxelles – Grand-Fayt, 240 km en automobile, 21,840 kg de CO2.
Grand-Fayt – Aulnoye-Aymeries – Grand-Fayt, 24,4 km en automobile, 2,220 kg de CO2.
25 janvier
Levé à sept heures. Matinée calme. Visite de la maison, du jardin, du village, du monument au mort. À Maroilles pour acheter du pain. L’après-midi, visite du musée Matisse au Cateau-Cambrésis. Généreux musée, montrant beaucoup d’œuvres très diverses, peinture, dessin, textile, papier, sculpture, et des photographies aussi, bien contextualisées. Ville triste, délabrée. Au retour, un peu de guitare, puis cuisiné un couscous avec des légumes du jardin.
Grand-Fayt – Maroilles – Grand-Fayt, 11 km en automobile, 1,001 kg de CO2.
Grand-Fayt – Le Cateau-Cambrésis – Grand-Fayt, 11 km en automobile, 1,001 kg de CO2.
26 janvier
Posé les amis au train avant neuf heures. Dû contourner une inondation par Maroilles. Cherché des oiseaux de dix à onze puis parti photographier l’inondation. Tombé à court de pellicules, j’y suis retourné après déjeuner. Fin de journée à la guitare. Un vieux Jaco van Dromael le soir.
Grand-Fayt – Aulnoye-Aymeries – Grand-Fayt, 24,4 km en automobile, 2,220 kg de CO2.
27 janvier
Levé à six heures et demie. Continué de nouer des contacts pour mon projet « Entrer en matière », pour lequel l’Adagp m’a donné des sous. Écrit à Hanako Murakami et Simone Appleby au CNC, toutes deux de la part de Diamantino, pour parler autochrome. Laurence en vidéo-conférence pour préparer notre petite exposition népalaise à Chandolin mi-février.
28 janvier
Levé à sept heures et demie. Tiré les images du Népal pour Chandolin. Ce qui m’a mené à ranger mes tirages éparpillés depuis le déménagement, et à corriger mon catalogue de tirages vendus, plus souvent donnés, qui était plein d’erreurs. Trouvé un moment aussi pour chercher des oiseaux. Quelques rencontres, mais déjà vécues. Et pas d’approfondissement. C’est d’avoir vu deux geais des chênes s’envoler du parterre sous la mangeoire qui m’a donné envie de sortir l’attirail. Mais ils ne sont pas revenus. Sur quoi il a été dix-sept heures et je suis parti en ville faire trois courses. Entretemps tout de même, Hanako Murakami a appelé suite à mon courriel d’hier. Conversation chaleureuse. Elle s’est intéressée depuis longtemps aux techniques primitives, notamment au procédé trichrome de Louis Ducos du Hauron, mais aussi, assez naturellement, aux autochromes Lumière. Ayant vu au musée des frères Lumière à Lyon la machine qui leur servait à appliquer une pression de plusieurs tonnes sur les plaques pour que les pigments soient bien répartis dans la fécule, Hanako Murakami a renoncé à l’idée d’en recréer, pour réfléchir à une autre manière d’utiliser l’autochrome : en les faisant parler du passage du temps. Elle a recherché et fini par trouver des plaques non exposées qu’elle a développées telles quelles, puis Diamantino en a réalisé des tirages. C’est fort beau et émouvant, pour peu qu’un site puisse en rendre compte. Peut-être pourrai-je un jour voir les plaques originales. Il n’existe que quatre tirages, tous au Japon. Ce que j’apprends avec elle, finalement, c’est la possibilité de contourner la lourdeur de la technique par la délicatesse du concept. Pendant que les images sortaient de l’imprimante dans le grenier, j’ai réfléchi à que faire des trois boites de plans films qu’Olivier Jeannin m’a données pour ma petite chambre neuf douze à soufflet, et de la Graflex quatre cinq qu’il m’a prêtée. La première question à résoudre, c’est celle du développement. Vu le coût en laboratoire, il va falloir mettre les mains dans la chimie. Lu plusieurs articles, notamment sur l’excellent site Galerie-photo, tous promettant des investissements plus ou moins onéreux : de bacs de développement classiques pour commencer jusqu’à des outils sophistiqués pour des volumes importants. Ici encore, à part la possibilité de choisir des cuves fermées en inox, la majorité des outils sont en plastique. Et comme pour la pellicule en rouleau, c’est un marché étroit mais verrouillé par quelques acteurs qui peuvent agir à leur gré sur les prix. Le marché de l’occasion en ligne est maigre et les films périmés sont chers. Peu de solution bricolées. C’est ce que j’ai aimé chez Olivier Jeannin avec le collodion : son sens de la bricole, sa non-orthodoxie, mais que seule permet une compréhension claire de ce qu’on fait. J’ai tout de même envie de me faire un peu la main sur du film avec ces chambres avant de tenter moi-même le collodion. Mais je n’ai pas de pièce obscure à la ferme. Une chambre peut éventuellement être obscurcie. Je le ferai après avoir fait une première expérience en chambre noire et avec Laurence, qui a déjà pratiqué : elle est d’accord pour m’aider, chez elle à Chandolin, quand nous irons là-bas mi-février.
Grand-Fayt – Avesnes-sur-Helpe (magasin d’alimentation) – Grand-Fayt, 21,8 km en automobile, 1,984 kg de CO2.
29 janvier
Levé à sept heures moins le quart. Feu, café, Kantipur. Pluie toute la journée. Voulu chercher des oiseaux, mais impossible de laisser l’appareil dehors. Repensé à ce sentiment évoqué il y a quelque temps à propos de Chantal Akerman, de ne pas avoir de maison, de ne reconnaître aucun lieu comme chez soi. J’ai fait quelques fois le tour du village avec l’appareil en plastique ces temps-ci, notamment l’autre jour où la route était inondée. Je fais des images, mais sans aucune vision, jusque pour essayer, parce que si je ne les fais pas je ne saurai pas. Mais je ne reconnais rien dans ce réel. Rien qui me dise : je suis une photographie de ton univers. Dans la Drôme non plus, cela dit. Je n’ai jamais photographié la Drôme. Mais peut-être est-ce parce que lorsque j’y habitais, je partais régulièrement au Népal. Après-midi au téléphone. Anne-Lore pour de longues nouvelles familiales et professionnelles. Jean-Robert. Nous allons tenter de passer quelques jours ensemble au printemps à échanger moi le savoir reçu d’Olivier sur le collodion, lui ce qu’il sait de l’utilisation de la chambre.
30 janvier
Levé à six heures et demie. Feu, café, Kantipur. Matinée en vidéo-conférence pour VU’. Lucas Leffler a accepté le principe d’un entretien sur sa pratique. Ce sera pour bientôt, à Bruxelles. Je vais pouvoir rassembler mes questions. L’après-midi, au téléphone, Isabelle Detournay me parle d’une conférence de Michel Poivert où intervient Lucas Leffler. Cherché des oiseaux. Trouvé une mésange et un moineau, mais rien de bien convaincant. Vu passer, je crois, à hauteur d’arbres, les geais des chênes de l’autre jour. Un peu de guitare. Soirée seul. Marie à la chorale. Au lit tôt.
31 janvier
Levé à sept heures. Feu, café. Une vidéo-conférence ce matin, et une autre cet après-midi, pour VU’. Écouté ensuite cette conférence de Michel Poivert à l’Institut supérieur pour l’étude du langage plastique de Bruxelles le 16 février 2024, tout en cherchant des oiseaux. Même si je ne suis pas d’accord avec toutes ses idées, son point de vue sur l’état actuel de la photographie a le mérite de définir de façon claire et structurée ce qui ne parvient pas à m’émouvoir dans ce courant qu’il nomme « de contre-culture photographique ». Prenant acte de ce que, « depuis le numérique, la photographie s’est fondue dans le régime général des images et n’a plus rien d’un médium », il identifie ce courant contemporain comme « mettant en perspective la disparition de la photographie analogique pour réinterroger le médium lui-même » et ce faisant pour, paradoxalement, nous aider « à dévoiler l’existence d’une culture analogique qu’on n’avait pas eu besoin de nommer jusqu’à présent ». Michel Poivert fait d’ailleurs le lien avec la contre-culture musicale et un parallèle avec le renouveau du vinyle. Si je devais le suivre dans cette idée de contre-culture, ce n’est que pour craindre que celle-ci aussi, comme les précédentes, se trouve bientôt absorbée par le marché dans un processus qu’il est convenu d’appeler une « récupération ». Le malaise ressenti lors de ma visite au laboratoire Négatif +, raconté dans ce journal en date du 26 mai, aurait tendance à me conforter dans cette crainte ici devenant constat. De Guy Debord au Lipstick Traces de Greil Marcus, du I’m Not There de Todd Haynes au suicide de Kurt Cobain en passant par la folklorisation du punk ou de la new-wave, l’on voit comment les contre-cultures sont assimilées. Parce que les attentes des utilisateurs de culture à l’endroit de celle ou celui qui s’érige contre – contre quoi que ce soit, ici un système marchand –, sont si grandes qu’elles sont impossibles à assouvir pour aucun être humain. Pour rester « contre », il faut sans doute abandonner la prétention à faire « culture », au sens de mouvement porté par un groupe. On ne peut être durablement contre que seul. C’est l’histoire de Rimbaud, ou plus proche de nous d’Angus MacLise, batteur historique du Velvet Underground qu’il a quitté parce qu’on ne le laissait pas jouer de la batterie aussi longtemps qu’il le souhaitait, et parce qu’il estimait qu’en cherchant le succès, le groupe se compromettait. En photographie, Denis Brihat et Jean-Luc Mylayne, tout contre qu’ils soient – contre la vitesse et le bruit –, s’ils sont révérés par un minuscule cercle de fidèles, n’ont pas fait culture. Tout juste Denis a-t-il réussi grâce à Solange à assurer le quotidien, ce qui est déjà bien (pour Jean-Luc Mylayne, je n’en sais rien). Mais je reviens à l’idée de Michel Poivert. Ce retour vers l’argentique, au prétexte de sa matérialité qui pourtant m’attire, s’il est souvent conceptuellement stimulant, reste à mon sens poétiquement tantôt pauvre tantôt redondant. Du ressassement du motif végétal dans la phytotypie aux abstractions basées sur l’enfouissement de matériaux photosensibles dans des couches de matériaux et de sédiments, de la sacralisation du papier photographique à l’altération des bains, des encres ou de la matière sensible par adjonction d’éléments dont la nature et la charge historique sont supposées étayer seules la valeur artistique de l’image qui en ressort, la photographie, dit Michel Poivert, « atteint une esthétique de ses particules élémentaires ». Tout dépend de ce qu’on entend par « esthétique ». Ces expériences sans doute « questionnent le médium », mais m’éloignent de ce pourquoi j’ai la photographie pour langage : la possibilité de reconnaissance émotionnelle d’une image issue de mon travail – qui devient dès lors pour moi « une photographie » – en tant qu’élément constitutif de mon être-au-monde. Cela fonctionne aussi avec la photographie des autres. Chez Denis Brihat et de Jean-Luc Mylayne, pour reprendre ces exemples, je me sens chez moi. Je suis aussi Michel Poivert aussi quand il dit que « la photographie n’a plus d’horizon industriel [car c’est l’image qui s’en charge], [qu’]elle n’a plus qu’un horizon artistique et culturel ». En revanche, je crois que je ne suis pas d’accord quand il dit : « avant de regarder une image, je regarde de la photographie, avant de regarder une image dans une exposition de gravure je regarde de la gravure ». Pour ma part, avant de regarder de la photographie ou de la gravure, je regarde d’abord un sens, qui est fonction de mon bagage culturel et sensible, donc de mon émotion face à ce que je regarde, mais aussi de ce que je sais, crois savoir ou critique de ses conditions d’émission et de réception. En d’autres termes, grâce à cette conférence de Michel Poivert, si d’aventure je devais me positionner sur un marché ou dans un courant, je sais à quel endroit je ne le ferais pas.
1er février
Une fois n’est pas coutume, café et Kantipur au lit. Histoire de deux adolescentes de quatorze et quinze ans qui ont été tuées pour avoir refusé une relation sexuelle, dans l’ouest du Népal. Cherché des oiseaux toute la matinée. Un film plutôt convaincant. Cherché encore l’après-midi.
2 février
Levé à sept heures et demie. Journée à Bruxelles, chez Isabelle et Olivier, à remuer des souvenirs et passer du bon temps. Rentrés dans le noir.
Grand-Fayt – Woluwe – Grand-Fayt, 234 km en automobile, 21,294 kg de CO2.
3 février
Levé à sept heures et demie. Un message de Georges Didi-Huberman, en réponse à l’envoi de mon texte sur la photographie et l’anthropocène. À Maroilles en voiture pour acheter du pain et interroger le pharmacien sur sa capacité à me fournir du collodion, du nitrate d’argent et d’autres produits nécessaires à la prise de vue au collodion humide. Il a du collodion. Bien moins cher qu’en ligne, et ici à côté. Il va se renseigner sur le nitrate d’argent. Quant aux autres éléments chimiques, iodures et bromures, il en a eu autrefois, lorsqu’il faisait encore régulièrement des préparations, mais c’est fini, il n’en fait plus, comme la plupart des pharmaciens, en sorte que les fournisseurs ont supprimé ces produits de leur catalogue, et il faut passer par le marché photographique spécialisé ou Internet. Publié la troisième livraison de ce journal, d’octobre à janvier. Marie à la chorale. Mis de la musique fort.
Grand-Fayt – Maroilles – Grand-Fayt, 11,4 km en automobile, 1,037 kg de CO2.
4 février
Levé à six heures. Train pour Paris, deux jours de mentorat. Arrivé à VU’ vers dix heures. Fabienne au téléphone pour parler du livre sur Jean-Pierre Sudre. Vu les participants du mentorat l’après-midi. Soupé ensuite avec Pierre-Olivier Deschamps, qui m’a gentiment invité dans un petit restaurant vietnamien. Parlé photographie et musique, puis rentré à pieds chez Agnès et Francis.
Grand-Fayt – Aulnoye-Aymeries – Grand-Fayt, 24,4 km en automobile, 2,220 kg de CO2.
Aulnoye-Aymeries – Paris-Nord, 217 km en train, 5,500 kg de CO2.
Trinité-d’Estienne d’Orves – Ledru-Rollin, distance inconnue, métro lignes 12 et 8, 0,025 kg de CO2.
5 février
Levé à sept heures. Longue journée de mentorat à l’agence dans une ambiance délétère. Puis parti vers le métro Télégraphe chercher une rotule micrométrique pour mon trépied, réservée sur Internet. Ce sera pour faire mon cadre de façon plus précise une fois que je travaillerai à la chambre. Puis à la gare du Nord pour reprendre le train.
Voltaire – Chaussée d’Antin-La Fayette, distance inconnue, métro ligne 9, 0,016 kg de CO2.
Chaussée d’Antin-La Fayette – Télégraphe, distance inconnue, métro lignes 9 et 11, 0,021 kg de CO2.
Télégraphe – Gare du Nord, distance inconnue, métro lignes 11 et 5, 0,015 kg de CO2.
6 février
Levé tard, vers huit heures. Journée technique. Relancé la personne qui s’occupent du dossier de la rénovation énergétique de la maison. Réponse quasi immédiate : il transfère notre dossier à un collègue. Je ne sais si c’est bon ou mauvais signe. Rien n’a bougé en un an. Courses en ville. Travail sur le catalogue des acquisitions. Réflexions sur l’avenir de mon statut avec l’abaissement du seuil de chiffre d’affaire déclenchant l’assujettissement à la TVA. Écouté Joëlle Verbrugge et décidé de changer de régime fiscal. Fin de journée la tête prise par ces considérations.
Grand-Fayt – Avesnes-sur-Helpe (magasin d’alimentation) – Grand-Fayt, 21,8 km en automobile, 1,984 kg de CO2.
7 février
Levé vers sept heures. Matinée administrative. Factures. Recherches sur la possibilité de se procurer les éléments nécessaires à la pratique du collodion humide. Les premières explorations renvoient surtout vers des sites spécialisés en photographie, pratiquant des prix pour amateurs de gadgets. Mais le collodion mis à part, qui se trouve donc à la pharmacie de Maroilles, tout est disponible chez un fournisseur de chimie spécialisé dans une clientèle scolaire. J’imagine en effet qu’il faut bien approvisionner ces laboratoires de sciences de la vie de la Terre. Les matériaux sont trois fois moins cher que partout ailleurs. Marie chez ses parents. Puis Fabienne et Dominique en vidéo-conférence pour parler du livre sur la photographie industrielle de Jean-Pierre Sudre. Des nouvelles de Bruno, qui a regardé mes films. Décidé de postuler à l’Aide à l’installation d’atelier de la Drac, d’aménager la pièce au-dessus du four à pain et d’acheter une chambre grand format. Regardé la fin d’Andrei Roublev. Plus aucune idée de quand nous avions vu la première partie. Avant-hier ou avant l’aller-retour pour Paris ?
8 février
Levé tard, passé sept heures et demie. Feu, café et quelques titres du Kantipur. Démarré la journée avec de bonnes intentions relatives au travail alimentaire. Mais distrait par le souvenir d’avoir proposé des tirages ci et là en juillet dernier, propositions dont j’étais sans nouvelle. Relancées. Le Grand-Hornu a répondu : c’est toujours en cours. Neuflize également. Puis, pris toutes espèces de mesures dans le grenier au-dessus du four à pain pour imaginer comment organiser un laboratoire afin de nourrir mon dossier pour la Drac. Travaillé finalement pour le Bec. Le soir, regardé un film idiot.
9 février
Levé à sept heures vingt. Remonté servir un café à Marie et lire le Kantipur au lit. Redescendu vers huit heures, feu et nouveau café. Lent dimanche. Préparé mes questions pour l’entretien avec Lucas Leffler mardi. Relu et réécouté pour ce faire diverses ressources qui ne s’assimilent pas comme un article d’un quotidien. Voyageur sans bagage, comment aller au fond de l’usage que fait Michel Poivert de l’ « hantologie » et de la « spectralité » de Jacques Derrida, pour caractériser le mouvement matérialiste à l’œuvre en photographie contemporaine ? Aucune idée. Il faut bien pourtant, car c’est de cela dont il va s’agir mardi. Mais bon, je suis où et comme je suis, je ne puis décemment aller plus vite et plus loin que cet état. Préparé mes bagages pour demain et aussi en prévision de mercredi prochain, départ vers Chandolin pour cette exposition avec Laurence de nos images népalaises. Mes aspirations à échapper à l’ordinateur mises bout à bout, plusieurs heures de guitare, aussi.
10 février
Levé à sept heures et demi. Cela fait plusieurs jours que je ne parviens pas à émerger plus tôt. Il ne fait toujours pas plus de onze degrés et demi quand je descends. Le feu ne réchauffe cet air que trop lentement. Nous avons brûlé au moins dix stères depuis le 15 septembre, date à laquelle nous avons commencé de chauffer tous les jours, dans un premier temps juste le soir, puis très vite toute la journée. Cela fait deux stères par mois en moyenne, et ça va continuer jusque mi-mai, donc seize stères, ce qui signifie que nous n’aurons pas assez de bois et qu’il va falloir en racheter. Mille euros de chauffage annuel tout de même, sans compter l’eau chaude. Il faudrait calculer ce que l’électricité coûterait, et qu’on pourrait ventiler sur l’année, ce qui n’est pas le cas du bois. En route vers la gare, bruine infâme, paysage d’une tristesse infinie. Marie, qui va rester toute seule deux jours dans ce frigo humide, a du mal rien que d’y penser. Pris le train pour Bruxelles à dix heures et quart. Passé à la droguerie du Lion chercher du bromure de lithium et de l’iodure d’ammonium pour le début du travail au collodion, puis suis allé m’asseoir au Cirio en attendant mon rendez-vous avec Michèle Schoonjans, la galeriste qui expose Denis Brihat. Exposition fort belle, de petite taille, quelques images dont une fleur de nigelle que je ne connaissais pas, la dernière édition de la poire, à vingt-quatre mille euros tout de même, ce qui serait un bel investissement, et un film où on voit Denis travailler dans son verger, très émouvant. Images mises en dialogue avec celles de Danielle Kwaaitaal, une artiste hollandaise qui photographie des objets et des végétaux dans des aquariums. Une bonne heure à parler de Denis et de nos métiers respectifs. C’est à La Bascule, où se trouvait l’Isti, lieu de mon année d’étude, entre septembre 1990 et juin 1991. Incapable de me souvenir d’où se situait cette école. Retour à Schaerbeek et soirée avec les parents.
Grand-Fayt – Aulnoye-Aymeries – Grand-Fayt, 24,4 km en automobile, 2,220 kg de CO2.
Aulnoye-Aymeries – Bruxelles, 93 km en train, 0,698 kg de CO2 2.
Pris plusieurs tramway, bus et métros dans Bruxelles, mais les émissions de CO2 par trajet ne sont pas données par l’application de la STIB. Un résultat de recherche signale une page intitulée « Calculateur de CO2 à Paris (RATP) | Ticket To Kyoto », mais inaccessible.
11 février
Levé tard, petit déjeuner avec maman et papa, puis en bus et métro vers Koekelberg, où Lucas Leffler a son atelier. Longue conversation, enregistrée, que je vais transformer en texte pour mon blog. Beaucoup de questions ouvrent des champs d’interrogations qu’il n’a pas encore explorés. C’est un garçon qui fonctionne à l’intuition. Dont celle de ne pas rester identifié uniquement comme photographe, car il a d’autres projets impliquant d’autres médiums. Rentré déjeuner avec les vieux, puis parti retrouver Benoît dans un café de la place Rouppe, jusqu’à l’heure du train. Comme à l’aller, il est bondé. Pas sûr de bien aimer ce Ouigo Classique. Ce train sent le coup commercial, pas le train. Ce ne sont pas, comme promis dans leur communication, de vieilles voitures Corail des années 1980, repeintes en rose et bleu. Ce sont des wagons modernes et sans charme. Marie m’attend à la gare. Soirée tranquille.
Bruxelles-Midi – Aulnoye-Aymeries, 93 km en train, 0,698 kg de CO2.
Grand-Fayt – Aulnoye-Aymeries – Grand-Fayt, 24,4 km en automobile, 2,220 kg de CO2.
12 février
Levé à sept heures. Deux vidéo-conférences pour le mentorat de VU’ le matin. Après-midi à préparer bagages et documents pour partir demain chez Laurence à Chandolin.
13 février
Levé à six heures. Train un peu avant huit. En route vers Chandolin tous les deux. Longue journée ferroviaire. Attente gare de Lyon dans une brasserie en haut des escaliers mécaniques, calme d’abord, puis musique de l’époque dégoulinante de Vocodeur. Impossible d’être présent à Marie. Je pense toujours, dans ces endroits, et c’est aussi une des raisons pour lesquelles je ne veux plus prendre l’avion, au junkspace de Rem Koolhaas. Entre Lausanne et Sierre, assis derrière un homme qui passait coup de fil sur coup de fil à haute voix. Je pourrais écrire sa biographie désormais. Paysage de plus en plus beau. Laurence nous embarque à Sierre. Le soir, elle a invité des voisins. Dont Georges, un navigateur ami d’Ella Maillart, qui a connu la plupart des ports du monde et en a rapporté des histoires qu’il raconte à merveille. Épuisés de fatigue, Marie et moi.
Grand-Fayt – Aulnoye-Aymeries – Grand-Fayt, 24,4 km en automobile, 2,220 kg de CO2.
Aulnoye-Aymeries – Paris-Nord, 217 km en train, 5,500 kg de CO2.
Paris-Nord – Paris-Gare-de-Lyon, distance inconnue, RER D, 0,047 kg de CO2.
Paris-Gare-de-Lyon – gare de Lausanne, 410 km en train à grande vitesse, 1,189 kg de CO2.
Gare de Lausanne – gare de Sierre, 108 km en train, 0,450 kg de CO2.
Gare de Sierre – Chandolin, 26,8 km en automobile 3, 6,298 kg de CO2.
14 février
Levé passé huit heures. Le ciel se dégage un peu. Préparé l’exposition de demain. Marie et moi coupons les photographies de Laurence et les miennes. Il y a deux cadres cassés et un grand cadre manquant, car nous avons mal fait nos calculs.L’après-midi le ciel est limpide. À l’horizon, une procession de quatre-mille : la Dent blanche, le Cervin, le Obergabelhorn, le Zinalrothorn, le Weisshorn… Laurence rentre, nous passons à l’Épicerie où se trouvent Bernard Müller et Anne Lise Hollmann, les héritiers d’Ella Maillart, que j’avais rencontrés lors du vernissage de l’exposition de Laurence sur le Krighizstan à Genève en 2022. Bernard a les cadres qui nous manquent, il nous emmène voir si les tailles nous conviennent. Nous sommes dans le chalet d’Ella Maillart. C’est étrange et émouvant. Les cadres sont quasi identiques aux nôtres. Il nous en prête deux. Avec Bernard on parle un peu photographie et collodion. « Tu as une chambre ? », me dit-il. Comme la réponse est non, du moins pas à moi, il rajoute : « J’en ai une pour toi ! ». C’est une Plaubel cinq sept modulable, qu’il me vendra à un tout petit prix. Restera à trouver une optique. Le soir, à nouveau une dizaine de convives à table, dont Michèle, qui faisait partie du même groupe que Laurence lors d’une des dernières éditions de mon stage à Bruxelles, Ostende et Marseille il y a quelques années.
15 février
Levé à huit heures et demi. Matinée passée vite. Déjeuné à l’Épicerie puis accrochage au laser jusque quinze heures trente, en tentant de ne pas trop gêner les gens attablés. Retour au chalet épuisé. Presque tombé de sommeil. À l’Épicerie pour le vernissage. Beaucoup de visiteurs. Les gens semblent touchés par les images. Un monsieur soit tout à fait aveugle soit malvoyant – en discutant, il me regardait, et j’ai eu le sentiment qu’il distinguait tout de même une forme dans l’espace – se faisait décrire les images par sa guide. Je lui ai raconté les histoires de chacun des photographies. C’était très émouvant. Espéré vendre un tirage dès ce soir, mais non. L’Épicerie ferme à dix-neuf heures. Dehors, une musique fin-de-règne descend de la colline à volume élevé. Elle provient d’une guinguette installée à l’arrivée d’une piste de ski. Vient toujours un moment, quand je suis en Suisse, où l’aisance m’oppresse. C’est aujourd’hui.
16 janvier
Levé tard encore. Mis en place la Graflex d’Olivier sur la terrasse, et photographié le paysage et ses quatre-mille. Dans un premier châssis j’ai mal positionné le plan film, qui en ressort tout plié lorsque je veux y insérer le cache de protection. Il servira de film martyr. Le deuxième film de ce châssis et les deux du second que j’ai emporté, je les insère à l’envers, en sorte que nous passons Laurence et moi une demi-heure à développer des films vierges. Je recommence à zéro, ce n’est rien de le dire ! Après le déjeuner, photographié Marie dans le fauteuil, à l’endroit. L’image est là. Vers quinze heures, nous avons été promener à travers le vieux village. Repassé devant le chalet où j’avais logé la première fois il y a deux ou trois ans, juste à côté du tout petit musée Ella Maillart. Pris un thé à l’Épicerie. C’est une fort belle exposition. Mais de la dizaine de personnes entrées s’asseoir et ressortie sur l’heure que nous avons passée là, pas une n’a eu un regard vers le mur. Photographies transparentes. Après la ballade, refait et développé une photographie des montagnes. Il y a une image, sans doute un peu sombre, mais lisible. Il faut que j’apprenne à gérer ma cellule.
17 janvier
Levé à cinq heures et quart. Bus une heure plus tard. Marie ne quitte Chandolin vers la maison qu’à neuf heures passées. Changement de bus à Vissoie, de train à Sierre, de train à Genève. C’est l’horrible train dans lequel je m’étais fait voler mon ordinateur autrefois, toujours aussi sale et mal entretenu en sorte qu’à côté des trains suisses à quai, en montant dans celui-là on a l’impression d’embarquer pour les limbes. À peine parti, il s’arrête une demi-heure au milieu des champs. À Valence, train pour Die, en retard aussi. M’ennuyant dans ce train, fait un test sur le site du journal Le Monde pour calculer mes rejets de CO2. Sept tonnes annuelles tout de même, malgré nos efforts et alors qu’il faudrait arriver à deux tonnes. Mais la formulation d’une bonne partie des questions m’oblige à fournir des réponses qui englobent le foyer et non uniquement moi, comme le test le préconise, notamment les kilomètres parcourus et le matériel possédé. Néanmoins c’est encore trop, essentiellement à cause de l’automobile. À Die. Philip Blenkinsop m’attend à la gare. Je le pensais en Asie. Il est rentré il y a trois jours. Yonola semble moins fatiguée que naguère. Moi, heureux de les revoir, eux et les enfants qui m’accueillent chaleureusement. Toujours ce mélange de français et d’anglais, un peu laborieux certains jours quand on sent que Philip ne s’y retrouve pas, mais cette fois fluide. On discute un peu de son avenir. Il voudrait que son œuvre lui rapporte de quoi vivre et créer. À mon sens il y a matière, plus que pour moi qui fomente un espoir similaire. Mais il ne sait par où attaquer ce problème. De Niépce à Guimet, il pourrait. C’est Philip Blenkinsop. Mais il n’a accès à aucune des portes vers quelque forme que ce soit de renouement avec la reconnaissance. Peut-être parce qu’il vit à Die, loin du milieu. Mais Denis vivait bien à Bonnieux. Je crois surtout qu’il est infoutu de travailler avec quiconque pour qui il ne ressente pas une confiance absolue et inconditionnelle. Il cultive à l’égard de quelques personnes croisées en trente ans de métier, qu’il voue aux supplices en ne plaisantant qu’à demi, sinon de la rancune, à tout le moins l’obsession de les tenir à distance. Quoi qu’il en soit, ce sentiment l’empêche d’avancer. Or il va bien falloir que quelqu’un s’attaque à vendre son œuvre. Yonola n’est pas Solange et ne veut pas l’être, c’est entendu, mais il y a certainement une personne capable de hisser cette œuvre à sa juste place à la fois sur le marché actuel et dans l’histoire du médium. Il y a ici en bas des centaines de tirages rehaussés d’écriture, de sang et d’autre fluides organiques, traitant des mutations de l’Asie depuis les années 1990. Et personne n’en sait rien. Je pense que le moment est le bon. Il y a dix ans, entre son départ de Noor et son retour en France, c’était trop tôt. Il était encore trop identifié comme un photographe documentaire. Il faut que Philip prenne conscience que le monde de la photographie est actuellement dans une période que faute de mieux je nommerais « matérialiste », où l’intérêt pour les artistes mettant ou ayant mis les mains dans la matière même du tirage est plus élevé que jamais. J’ajoute que les seules galeries vues l’année dernière à Paris Photo où il se passait quelque chose d’humain et de sincère, c’étaient les japonaises. Et ainsi, petit à petit, je parviens à le convaincre de la pertinence d’y venir cette année, et de ne visiter que ces galeries-là, avec quelques tirages sous le bras. Je ne peux pas croire que le bonhomme qui a produit une des œuvres photographiques les plus fortes du vingtième siècle laisse cette œuvre s’humidifier dans une cave drômoise cependant que personne n’a aucune idée de son existence et que lui presque compte les centimes. Ne pas la faire vivre est un gâchis. Du reste, les anecdotes ramenées de ses deux mois et demi en Asie sont un peu tristes : des histoires de changements de billet d’avion que l’on connaît par cœur, des lieux familiers devenus impossibles à vivre, Bangok, sa chère ville, transformée en ghetto postmoderne pour humain numérisé – et le silence des amis : Philip a prévenu Bhushan, Nishant et NayanTara qu’il était à Katmandou pour quelques jours, mais ils ne lui ont pas répondu. Il a finalement passé un moment avec Manish Paudel à Birgunj, chez qui j’avais donné un stage en 2016, et qui avait réalisé le portrait de moi que j’utilise toujours quand on m’en demande un, me rajeunissant ainsi de dix ans.
Chandolin – Vissoie – Gare de Sierre, 26,8 km en bus, émissions de CO2 inconnues.
Gare de Sierre – gare de Genève, 168 km en train, 0,690 kg de CO2.
Gare de Genève – gare de Valence Ville, 269 km en train, 6,806 kg de CO2.
Gare de Valence-ville – gare de Die, 71 km en train, 1,796 kg de CO2.
18 février
Levé avant sept heures. Petit déjeuner avec Odell et Yonola, puis Philip et Caeden. Philip me dépose chez le dentiste. Empreintes vite faites. Ambiance légère. Puis bus pour Valence. Train pour Paris. Reçu de ma sœur, pour mon dossier de candidature à l’Aide à l’installation d’atelier de la Drac, un plan du grenier à aménager, tout joli et irrésistiblement stimulant. Il ne reste plus qu’à remplir un tableau de prix et collecter des devis, et ce sera prêt à envoyer. Il me reste huit jours. Fin de soirée sans intérêt, à errer face à l’écran.
Gare de Die – gare de Valence-ville, 71 km en train, 1,796 kg de CO2.
Gare de Valence-ville – gare de Valence-TGV, 10 km en train, 0,253 kg de CO2.
Gare de Valence-TGV – Paris-Gare-de-Lyon, 568 km en train à grande vitesse, 1,647 kg de CO2.
19 février
Levé à sept heures. À l’agence à neuf heures et demi. Jean-Robert arrive bientôt. Longue et constructive réunion avec lui et Guillaume Herbaut, orchestrée par Mathias, pour imaginer une formation documentaire sur les ruines de la sienne à l’Emi-CFD. Après-midi, avant-dernière séance de l’atelier pro de VU’, dont deux participantes sont d’anciennes élèves Guillaume. Puis une heure pour le mentorat. Olga le soir. Dormi tard.
Voltaire – Chaussée d’Antin-La Fayette – Voltaire, distance inconnue, métro ligne 9, 0,032 kg de CO2.
20 février
Levé à sept heures. À l’agence, tension palpable. Il va falloir penser à la suite. Fin des séances de travail de l’atelier pro.
Chemin vert – Trinité-d’Estienne d’Orves, distance inconnue, métro lignes 8 et 12, 0,020 kg de CO2.
Paris-Nord – Aulnoye-Aymeries, 217 km en train, 5,500 kg de CO2.
Grand-Fayt – Aulnoye-Aymeries – Grand-Fayt, 24,4 km en automobile, 2,220 kg de CO2.
21 février
Levé à sept heures. Courses en ville. Visite d’une personne du Service public de l’efficacité énergétique qui reprend notre dossier suite à la démission de l’interlocuteur précédent. L’après-midi, travaillé à mon dossier de demande d’allocation d’aide à l’installation d’atelier. Créé le document des plans, et demandé des devis pour remplir le budget. Repris un peu la guitare.
Grand-Fayt – Avesnes-sur-Helpe (magasin d’alimentation) – Grand-Fayt, 21,8 km en automobile, 1,984 kg de CO2.
22 février
Levé à sept heures. Matinée à compléter encore mon dossier pour la Drac. Trouvé une optique pour la chambre Plaubel de Bernard. Après-midi pour le Bec en l’air, sur le catalogue des acquisitions.
23 février
Levé à sept heures. Dimanche sur l’ordinateur, à rattraper le retard pour le Bec en l’air. Même pas pris le temps de sortir.
24 février
Levé tôt. Fini mes demandes d’autorisation de publication pour le Bec. Avancé mon dossier pour la Drac. Marie à la chorale. Au lit avant neuf heures.
25 février
Chez le médecin à Lille. Le rendez-vous suivant, chez un ostéopathe de sa connaissance pour traiter les séquelles de mon accident du premier janvier, est prévu pour s’enchaîner. C’est un échec. L’ostéopathe a une heure de retard. Je suis parti. Rentré qu’il était presque seize heures. Le soir, dîné chez son frère avec Marie et ses parents. Trajet dans le déluge.
Grand-Fayt – Croix – Villeneuve d’Ascq – Lille – Avesnes-sur-Helpe – Maroilles – Landrecies –Grand-Fayt, 245 km en automobile, 22,295 kg de CO2.
26 février
Levé à sept heures et demie. Journée mélangée entre vidéo-conférences pour VU’ et écriture des textes pour mon dossier Drac. Un peu de lumière ce matin. Mais ce soir, retour de la pluie. Dieu que cet endroit est triste.
27 février
Levé à huit heures et demie, épuisé d’une fatigue malsaine. Envoyé mon dossier à la Drac pour l’Allocation d’installation d’atelier. Maman se fait opérer ce matin. Elle appelle vers quinze heures trente, un peu vaseuse. Elle semble avoir bien surmonté l’opération. Dans la photographie industrielle de Jean-Pierre Sudre tout l’après-midi. Marie à la chorale le soir. Dormi avant que Marie ne rentre.
28 février
Levé à sept heures. Marie à Chimay pour préparer ses ateliers de fleurs en papier au magasin de beaux-arts. La chimie pour le collodion, celui-ci excepté, arrive par transporteur. Puis à Maroilles à vélo pour acheter ce collodion précisément, du pain et un bout de fromage. Sur le vélo, il fait plus froid qu’il n’y paraissait à l’abri du vent. Mathias au téléphone. Maman au téléphone aussi, qui a décidément l’air de bien se remettre de son opération.
1er mars
Réveillé à sept heures. Café et Kantipur jusque huit. Dans l’iconographie de Jean-Pierre Sudre toute la journée. J’aime la posture artistique de cet homme. Qui était-il comme père et époux ?
2 mars
Partis à Bruxelles, visiter maman à l’hôpital, en passant par chez ma sœur. Les travaux de sa petite maison avancent bien. Maman a l’air de beaucoup mieux supporter son opération que celle du genou autrefois. Descendus au rez-de-chaussée avec l’idée d’aller prendre un thé. La cafeteria venait de fermer, donc pas de thé, mais elle a marché quelques couloirs sans sembler avoir trop mal. Sa voisine de chambre est d’Oran. Maman est invitée. J’irais bien avec elle.
Grand-Fayt – Enghien – Woluwe-Saint-Lambert (Hôpital Saint-Luc) – Grand-Fayt, 254 km en automobile, 23,114 kg de CO2.
3 mars
Maman est rentrée à la maison. C’est tout de même rapide. Je me sens de nouveau, vis-à-vis de ce journal, pris dans un malentendu. Depuis quelques temps je n’y vais que pour ne pas renoncer à y aller. C’est à comparer sans doute avec la gymnastique du matin. Certes je sais qu’elle m’est bénéfique. Pourtant il y a bien des jours où je passerais volontiers aux obligations sans me plier, si j’ose dire, à cette étape. Mais quand vient le matin, je sais que si un seul jour je rechigne à faire ne serait-ce que mes quatre-vingts pompes ou quelques séries d’étirements, alors il n’y a pas de raison que je reprenne ni le lendemain ni jamais cette routine somatique. Pareillement, si je n’ai pas écrit quand vient le soir – ou le lendemain ou le surlendemain soir, car pour le moment j’écris plutôt avec un jour ou deux de retard, entre autres parce que je ne puis écrire que seul et ne le suis pas souvent –, si je n’ai pas écrit de deux ou trois jours alors, me dis-je, autant sur le champ mettre un terme à l’écriture. Car si ce que remue le quotidien de ce déménagement ne me fait pas écrire, qu’est-ce qui me fera écrire ce que remue le quotidien de ce déménagement ? Or je n’ai pas envie d’arrêter ni l’une ni l’autre de ces routines. Non tant par amour pour leur exercice que par anticipation de la culpabilité que leur abandon déchaînerait. Mais davantage encore, par protection face à l’emballement : par crainte que se fissure le socle de tant d’autre routines qu’il serait alors permis d’abdiquer pareillement. Donc j’y vais. Je les tiens. Je m’y tiens. Mais ces jours-ci, plus raison que par désir. Je n’y vais que parce qu’il arrive – le soir, le matin –, et avec lui le rituel – du journal ou de la gymnastique. Je les exerce de l’extérieur, pour pouvoir dire les avoir exercés. Quoi que vaille la comparaison avec l’activité physique, encore qu’on puisse à bon droit souhaiter lui donner un sens qui dépasse la fonction d’antirouille, mon sentiment actuel est que ce journal ne fait pas ce qu’il doit : rendre compte d’une tentative intime et artistique. C’est sans doute que je n’ai rien à y dire de cet ordre puisque je ne vis rien dans ce long hiver qui intéresse son objet. Pourtant je ne fais pas rien. J’écris, déjà. Il y a eu la découverte du collodion en janvier et du développement négatif en février. J’ai refait quelques images ici dehors, avec les oiseaux des haies. J’ai postulé à l’Allocation d’installation d’atelier. Mais ce ne sont que des sursauts ponctuels, machinaux peut-être, et non reliés entre eux par une nécessité, un désir, une démarche. Or pour être sincères et avoir un sens, ces réflexions et tentatives artistiques devraient être inscrites dans un temps lent structuré par une attention aiguë à ce qu’elles déplacent en moi. Ce n’est pas le cas. Entre ces crêtes d’activité, mon temps est pris par les obligations alimentaires. Et une fois celles-ci remplies, je ne me dis pas systématiquement : voici du temps pour créer. Si survient une heure de liberté, je prends la guitare ou le Kantipur, pas le Leica. Je sais que je devrais plutôt travailler à faire avancer ma pratique, mais d’un savoir qui n’est pas mû par un désir global, profond, obsédant. Ne pas avoir réalisé le moindre cyanotype depuis février, alors que David Clément m’avait offert des papiers déjà sensibilisés, est un symptôme de cette absence de désir. J’ai tendance à croire que ce ne sera pas vrai du travail à la chambre. Mais cette croyance n’engage à rien, vu que je n’ai pas de chambre noire pour développer mes négatifs et pas encore l’équipement pour le collodion. Il faut sérieusement et honnêtement que je me demande si la photographie me concerne encore.
4 mars
Levé à sept heures. Courses en ville, puis les parents de Marie à déjeuner. Coupé du petit bois. À peine joué deux partitions de guitare qu’il était l’heure de se mettre à la cuisine. Au lit tôt car demain, Marie part au train de sept heures cinquante-deux.
Grand-Fayt – Avesnes-sur-Helpe (magasin d’alimentation) – Grand-Fayt, 21,8 km en automobile, 1,984 kg de CO2.
5 mars
Réveillé à trois heures et demie. Pas redormi. Attendu six heures en me retournant. Conduit Marie à Aulnoye-Aymeries, qui part voir Olga par le train pour Lille puis le bus pour Den Haag. De retour à huit heures. Cherché et filmé des oiseaux. Peu de photographies, mais un film où deux moineaux restent de longues minutes dans le plan. Testé enfin les papiers sensibilisés pour le cyanotype offert par David Clément. Tenté avec le négatif du Cervin réalisé l’autre jour à Chandolin, mais sans doute ai-je forcé l’exposition. Il faudra que je réessayer demain. Mais avec une feuille de chou de Bruxelles, ça a fonctionné. Je n’ai pas d’idée d’où cela va me mener. L’impression de déjà vu me gêne. Mais au moins aurai-je essayé. Je devrai ensuite préparer mes feuilles moi-même. Je rapporterai du papier aquarelle de Paris ou de Lille. Réécouté, pour la première fois depuis bien quinze ans, à très fort volume, le Club 666667. Pleuré plus d’une fois – ce gâchis, certainement, et la disparition je ne sais où des années auxquelles avant l’effondrement cette musique a rien moins que donné sens et raison. Tranquille pour quinze ans à présent.
6 mars
M’étant couché tôt hier, j’avais mis le réveil à six heures, mais je me suis rendormi jusque huit heures moins quart. Il fait beau. Cela donne envie d’aller causer avec les oiseaux. Pensé à ceci : si la Drac met le même temps à répondre aux candidatures que pour l’Aide à la création, je saurai en juillet si je peux me construire un studio. Je ne peux pas attendre juillet pour refaire des négatifs à la chambre. Ce n’est pas ce dont j’ai envie. Il faut que je trouve un moyen de développement d’ici là. Isoler de la lumière une pièce de la ferme n’est pas possible sans travaux entraînant quelques centaines d’euros de dépenses. Il va donc falloir que j’apprenne à développer en cuve fermée. Passé un bon moment à lire la littérature sur le sujet. Écouté jusque tard, à très fort volume, des chansons, de Brel à Bowie en passant par Television, façon place des Bienfaiteurs en 1997. Tout a été si vite. Au lit bien trop tard, ce faisant.
7 mars
Levé à cinq heures et demie. Ma sœur a quarante-neuf ans. Café. Pas de feu, je m’en vais. J’ai un atelier d’écriture qui commence à l’agence à dix heures. À la gare d’Aulnoye-Aymeries, je monte dans le train de six heures cinquante-quatre. Je repense à ce que j’écrivais de ce journal il y a trois ou quatre jours : qu’il ne fait pas ce qu’il doit. Ce n’est pas tout à fait vrai, puisqu’il existe. C’est déjà une partie de ce que je lui demande. Mais ce n’est pas tout. Ce que je veux de plus ? En écrivant cette proposition, qu’une ancienne partie de moi voudrait pouvoir qualifier grammaticalement sans hésiter mais ne le peut point, je repense à ce film éponyme de Silvio Soldini avec Alba Rohrwacher que j’étais allé voir à Utopia à Avignon et que Fabienne avait vu aussi, et à la discussion sur la politique de la liberté que nous avions eue par téléphone ensuite, moi marchant dans Avignon, elle je ne sais où… Ce que je veux de plus, ce serait que ce journal soit le lieu où dire pourquoi je ne photographie plus. Peu de temps après avoir ébauché cette pensée, le chef de bord annonce que le train ne repartira pas avant Dieu sait quand. On apprend assez vite, par lui et le journal, qu’une bombe de cinq cents kilos de la Seconde Guerre a été découverte non loin de la gare du Nord à la faveur de travaux. Je rentre. J’ai fait ma séance inaugurale de l’atelier en vidéo-conférence depuis la maison. Mais eux quatre, mes élèves, étaient à l’agence. Une Parisienne pour qui c’était possible, et un Marseillais, une Nancéenne et une Chartroussine qui avaient pris des trains pour venir à Paris et pour qui il n’y avait pas d’autre choix. C’était pénible de n’être pas avec le groupe, mais qu’ils fussent tous ensemble m’en a consolé. Éric Jarrot, conseiller aux arts plastiques à la Drac, me téléphone car il y a une erreur dans mon budget, qu’il me donne le temps de corriger. Appelé ma sœur pour lui souhaiter son anniversaire, mais sans succès. Cuisiné double pour les parents. Au lit tôt. J’ai du retard.
8 mars
Levé à sept heures. Comme je prenais le café en lisant le Canard acheté hier pour le train que je n’ai pas pris, je me suis fait rappeler à l’ordre par le couple de livreurs de bois, dont j’avais sollicité mais oublié la visite ce matin. Racheté six stères pour finir la saison. Ils m’avaient annoncé du bois d’un an et demi de séchage. Mis deux petits bouts dans le feu pour le démarrer. Impossible à prendre. Et une fois pris, fumée et crépitement caractéristique du bois humide. Inutilisable avant octobre. Passé la matinée à ranger ce bois sous l’abri et à nettoyer les écorces et les éclats qui jonchaient le sol. Cuisiné pour les parents encore. J’irai demain leur apporter mes petits plats, préparés chaque soir et ce midi depuis mercredi. Seize heures, parti vers Lille chercher Marie qui a mal calculé sa correspondance avec le bus de La Haye, et arrive à la gare à une heure où il n’y a plus de train pour Aulnoye-Aymeries.
Grand-Fayt – Lille – Grand-Fayt, 184 km en automobile, 16,744 kg de CO2.
9 mars
Parti tôt vers Bruxelles porter mes préparations aux parents. Scanné mon négatif du Cervin réalisé l’autre jour chez Laurence. Un peu déçu du résultat, moins net qu’il n’y paraît sur le négatif. Mais surtout, ma photographie est sous-exposée. Au retour, passé par chez ma sœur lui porter un petit cadeau d’anniversaire. Rentré vers dix-sept heures. Soirée tranquille.
Grand-Fayt – Schaerbeek – Enghien – Grand-Fayt, 253 km en automobile, 23,023 kg de CO2.
10 mars
Levé à sept heures. Trois élèves ce matin. Ce midi, le pic épeiche et l’écureuil s’activent dans la prairie humidifiée par les pluies de la nuit. L’un picorant la terre, l’autre dansant et sautant. Restés longuement. Comment photographier des rencontres de cette sorte d’une façon qui ne soit pas de la chasse ?
11 mars
Levé à sept heures. Trois élèves encore, pour l’atelier d’écriture de VU’. Des histoires lourdes, puissantes, intimes. Être à la hauteur. Fabienne ensuite, longuement. Dominique par mail pour le catalogue des acquisitions. Choisi une photographie parmi les tirages de Diamantino pour l’anniversaire de Philip Blenkinsop. Il a soixante ans aujourd’hui et je le vois demain.
12 mars
Levé à six heures. Marie me conduit à la gare. En route pour Die, finir ce long processus dentaire. Longue journée de transport, donc. Arrivée vers seize heures. Offert ma photographie à Philip. Je crois qu’il a aimé. C’est un tirage gélatino-argentique de la photo de Karpo à Thuman en 2014, prise avec l’appareil en plastique. Joué au Uno avec les enfants.
Grand-Fayt – Aulnoye-Aymeries – Grand-Fayt, 24,4 km en automobile, 2,220 kg de CO2.
Aulnoye-Aymeries – Paris-Nord, 217 km en train, 5,500 kg de CO2.
Gare du Nord – Gare de Lyon, distance inconnue, RER lignes B et A, 0,021 + 0,025 = 0,046 kg de CO2.
Paris-Gare-de-Lyon – gare de Valence-TGV, 568 km en train à grande vitesse, 1,647 kg de CO2.
Gare de Valence-TGV – gare de Valence-ville, 10 km en train, 0,253 kg de CO2.
Gare de Valence-ville – gare de Die, 72 km en car de substitution, 2,484 kg de CO2.
13 mars
Levé à six heures. En attenant que les amis descendent, lu un excellent livre déjà feuilleté hier soir : An Alternative history of photography, de Philip Prodgers. Un livre qui prend acte des découvertes tardives nourrissant l’histoire du médium (on y trouve par exemple les photographies de végétaux de Charles Jones, découvertes dans les années 1980), et mêlant des images rares de photographes établis – d’un dessin de Charles Nègre à une photographie inconnue de Stephen Shore –, à une grande série d’œuvres dont je n’avais jamais entendu parler. Alors qu’usuellement, quand j’ouvre une histoire de la photographie, j’ai au minimum une idée d’où placer sur une ligne du temps quatre-vingts pour cent des photographes présentés. Donc un livre essentiel, qui prend des contre-pieds. Chez le dentiste à huit heures. Toujours la bonne humeur ici. Thierry content de lui, et de ses prothésistes. Un café en attendant le bus, au Fournil de Sylvain, à mi-chemin entre dentiste et gare. C’est tout l’album The Miracle de Queen qui passe. Mon premier disque compact, avec le Counterfeit EP de Martin Gore. Étrange comme je connais par cœur les textes de ce disque que je n’ai plus écouté depuis trente ans. À Paris en fin d’après-midi. Passé saluer Francis à l’improviste. Dans un petit restaurant du coin ensuite, avec ma cousine Ingrid et sa fille.
Gare de Die – gare de Valence-ville, 72 km en car de substitution, 2,484 kg de CO2.
Gare de Valence-ville – gare de Valence-TGV, 10 km en train, 0,253 kg de CO2.
Gare de Valence-TGV – Paris-Gare-de-Lyon, 568 km en train à grande vitesse, 1,647 kg de CO2.
Gare de Lyon – Voltaire, distance inconnue, Bus ligne 61, 0,119 kg de CO2.
Voltaire – Croix de Chavaux, distance inconnue, Bus ligne 61, 0,018 kg de CO2.
Croix de Chavaux – Fontenay-sous-Bois, 1,5 km en taxi, 0,136 kg de CO2 4.
14 mars
Levé à six heures. Le paternel a 79 ans. Travaillé jusqu’à onze heures avec Ingrid sous la véranda. Partis ensemble ensuite vers la Croix de Chavaux et moi, pour plus d’une heure et demie de transport jusqu’à Bois d’Arcy, où se trouve le Laboratoire de restauration du Centre national du cinéma. Introduit par Diamantino Quintas, j’ai rendez-vous à quatorze heures avec sa directrice, Simone Appleby, laquelle m’a invité à regarder les premiers films cinématographiques autochromes des frères Lumière, qu’elle ambitionne de restaurer. Je lui raconte ce que je fais là. Ce que je ne sais qu’en partie, ou plutôt, ce dont je crains que le peu que j’en sache ne la satisfasse point, car je n’ai pas de requête concrète. Je crois que je suis là pour discuter avec quelqu’un que l’autochrome a pris au cœur. En vérité cela suffit largement. D’emblée, le même genre d’émotion qu’avec Émeline Chevallier, la luthière qui a repris l’atelier de Thomas Norwood. La rencontre est fluide. La discussion prend vite comme des allures de retrouvailles avec quelqu’un que je rencontre pourtant pour la première fois. Simone Appleby me fait enfiler un tablier blanc, je pense à Olga dans ses stages hospitaliers, et m’emmène au laboratoire et me passe, image après image, deux films autochromes sur la visionneuse, en attirant mon attention sur certains détails. L’un montre des dentelières travaillant devant une église en Bretagne, sans doute en 1928. L’autre, un meeting aérien, même époque. Elle et son équipe en ont identifié soixante-sept. Ces deux-là sont les premiers à avoir été scannés. Ensuite, dans une petite salle de vingt places, nous regardons différentes versions de ces films préparées par son collègue ayant opéré cette numérisation, qui se joint à nous pour les commenter : en 2K, 4K, bruts puis avec plus ou moins de contraste ou un point blanc plus ou moins chaud. Nous discutons de l’aggravation par la projection cinématographique du fourmillement inhérent au réseau autochrome. Visité ensuite tout le laboratoire. Parlé de F. que je vois demain. Ce que j’ai vu, et qui est un des maillons fondamentaux de l’histoire du médium et du cinématographe couleur, à part son équipe et elle, depuis cent ans personne ne l’a vu. C’est bouleversant. Je pense au Regard d’Ulysse d’Angelopoulos et à Harvey Keitel cherchant les films des frères Manakis à travers les Balkans déchirés. Mais ce n’est que vers Paris que je retourne ensuite. À VU’ vers dix-huit heures. Rendez-vous avec Claudine Doury, qui arrive presque en même temps que moi. Les bureaux sont vides. Reste Caroline Benichou seule à la galerie, gardant une belle double exposition noir et blanc. La principale rassemble des images en grands formats de Sebastián Bruno tirées en encres pigmentaires sur papier baryté, l’autre, dans la pièce d’Émeline, tout au fond, est faite tirages argentiques de très petites tailles, majoritairement sept sur sept centimètres, proposée par Øyvind Hjelme, qui est présent. Nous regardons l’exposition avec Claudine, saluons le photographe, puis quittons l’agence. J’ai découvert le travail de Claudine par son exposition sur les Nenets du fleuve Amour à La Villette en 1999. Depuis je l’ai suivie par ses livres et par la communication qu’en a donnée l’agence. Nous nous sommes parlés trois fois tout au plus, et récemment. C’était toujours aux vernissages des expositions de restitution du mentorat, surtout pour, elle, me demander si elle pouvait m’envoyer des stagiaires qui avaient besoin des mots pour savoir de quoi parle leur travail. Ce soir nous allons faire une peu connaissance. Une bière au bistrot qui fait le coin de la rue Saint-Lazare et du square. Puis un resto un peu plus loin dans la rue Saint-Lazare, à causer pédagogie, subsistance, écriture, VU’, avenir, Lise Sarfati, Raymond Depardon, Sophie Ristelhueber et François Hers, New York où elle vécut trois ans, possibilité de faire un stage ensemble… S’agissant de l’écriture, elle a déjà dit tout à l’heure qu’elle avait passé la journée à tenter en vain de réduire sa biographie de dix-huit cents à mille signes et qu’elle n’est arrivée qu’à quatorze cents. Claudine rajoute qu’elle aimerait que quelqu’un lui écrive un texte qui raconte ce qu’elle fait depuis quarante ans. Une partie de moi pense et dit à voix haute qu’elle devrait solliciter un auteur d’une stature qui lui siée, à minima Michel Poivert. Une autre dit à voix encore plus haute qu’à défaut je serais honoré d’écrire pour elle ! C’était un moment agréable. Rentré à Montreuil passé dix heures. Traversé le petit parc des Beaumonts au pas de course, un peu angoissé d’être au mauvais endroit, mais j’arrive de l’autre côté sans encombre.
Fontenay-sous-Bois – Croix de Chavaux, 1,5 km en automobile, 0,219 kg de CO2 5.
Croix de Chavaux – gare de Fontenay-le-Fleury, distance inconnue, métro lignes 9 et 6 et Transilien ligne N, 0,246 kg de CO2.
Gare de Fontenay-le-Fleury – Trinité-d’Estienne d’Orves, distance inconnue, métro ligne 12, 0,221 kg de CO2.
Chaussée d’Antin-La Fayette – Mairie de Montreuil, distance inconnue, métro ligne 9, 0,036 kg de CO2.
15 mars
Levé à sept heures moins le quart. Feuilleté quelques livres sur le cinéma d’animation dans la véranda en attendant Ingrid, dont un dont elle a entièrement dirigé l’iconographie. Ensemble jusqu’à Oberkampf. Ingrid continue vers la gare et la Bretagne. Au café ensuite où m’a donné rendez-vous F., à ma connaissance un des deux seuls terriens à pratiquer l’autochrome aujourd’hui. C’est Le Centenaire, qui est incidemment le café où je retrouve usuellement Michel, mon professeur de guitare. F. m’émeut de suite. Je raconte pourquoi je me suis rapproché de lui, et ce que Simone Appleby m’a montré hier. La première question qu’il me pose, c’est celle du fourmillement des films. J’explique les discussions que nous avons eues à cet égard avec Simone et son technicien qui a les scannés. Il me raconte sa propre découverte des autochromes et l’obsession qui en est née. J’avais espéré qu’il m’amène quelques images. Il l’a fait. Il s’est inspiré du livre Stranger passing de Joël Sternfeld, que je ne connaissais pas. Il a fait poser des inconnus rencontrés ici et là, dans des postures qui reproduisent les circonstances de leur rencontre. C’est la troisième fois seulement que je vois des autochromes. La première, c’était il y a des années, un camarade d’Anne-Lore m’avait demandé de scanner une collection de plaques de verre familiales pour la plupart positives intégrant l’une ou l’autre plaque autochrome. La seconde, c’était hier. Aujourd’hui, ce que F. m’a apporté est bouleversant. Je suis le premier à voir ses images autochromes, magnifiques, bien plus que de simples portraits. Une photographie couleur faite maison. Ou, à tout le moins, dont la couleur est faite maison, avec ce grain caractéristique des pigments dans la fécule, à quinze ou vingt microns de diamètre. Mais c’est un homme fatigué, découragé peut-être, ne pouvant travailler pour lui que le soir et le week-end, car le reste du temps il est enseignant, dans un petit laboratoire de deux mètres carrés et une cave de cinq mètres carrés car c’est tout ce que permet son petit appartement parisien. C’est un travail physique. Il contracte régulièrement des tendinites à cause de la pression nécessaire à exercer sur le support pour écraser correctement la fécule. Ce laminage lui prend plus de trois heures pour une feuille A3 dans laquelle il découpe six films. Il faut absolument qu’il persévère. Son travail est d’une rare finesse. Il m’a du reste donné confiance dans la possibilité que j’y arrive un jour aussi. Michel arrive peu après. Longue conversation guitare, stage, concerts, Bretagne, phares, îles. Il me donne envie de passer davantage de temps ensemble. Plus tard arrive une élève de Claudine Doury que j’ai accepté d’accompagner pour l’écriture d’un texte. Nous travaillons jusque près de quinze heures trente. J’aurai passé une bonne partie de la journée dans ce Centenaire. À Camera Obscura ensuite, où est inaugurée une exposition en hommage à Denis Brihat. Son travail toujours aussi beau, aussi bouleversant. Beaucoup de tirages que je n’avais jamais vus qu’en reproduction dans le livre. Solange est là, ses enfants Anne et Pierre, Martine, l’amie avec qui nous avions dîné en novembre. Didier Brousse pareil à lui-même, un peu sur son quant-à-soi, mais laissant tout de même paraître de temps en temps quelque chose de lui depuis notre conversation à l’enterrement de Denis. Et Simone Appleby est venue. Elle est transportée par tant de beauté ! Et moi, bien heureux de la revoir. Je fais part à Solange de mon désir de revenir à Bonnieux photographier le studio de Denis avant qu’elle en modifie l’ordonnancement. Elle acquiesce, avec bonheur je crois. Quitté à regret la galerie pour reprendre le train de dix-neuf heures au Nord.
Mairie de Montreuil – Oberkampf, distance inconnue, métro ligne 9, 0,026 kg de CO2.
Oberkampf – Raspail, distance inconnue, métro lignes 9 et 4, 0,023 kg de CO2.
Raspail – Gare du nord, distance inconnue, métro ligne 4, 0,024 kg de CO2.
Paris-Nord – Aulnoye-Aymeries, 217 km en train, 5,500 kg de CO2.
Grand-Fayt – Aulnoye-Aymeries – Grand-Fayt, 24,4 km en automobile, 2,220 kg de CO2.
16 mars
Joué aux échecs avec Olga en ligne ce matin. Pas eu le temps de sortir, bien que ce fut un beau dimanche. Rangé les documents de quatre jours de déplacements, répondu aux courriels en retard, tenu les engagements pris. Un peu de guitare.
17 mars
Levé à six heures et demie, avec le soleil. Il fait beau à nouveau. À Maroilles en automobile, pas le courage d’y aller à vélo. Plusieurs vidéo-conférences pour VU’. Fabienne au téléphone pour parler du livre de Cédric sur le Cachemire, et de la possibilité d’aller voir Solange ensemble. Un message Simone Appleby qui va tenter de me mettre en contact avec Bertrand Lavédrine, l’auteur du livre sur les autochromes Lumière. Appelé Diamantino pour le remercier de cette belle rencontre.
Grand-Fayt – Maroilles – Grand-Fayt, 11,4 km en automobile, 1,037 kg de CO2.
18 mars
Levé à six heures et demie. Une longue vidéo-conférence pour VU’ le matin. Comme hier, une personne pour qui cet atelier a levé des blocages très anciens. Ce n’est pas du luxe de se sentir un peu utile. L’après-midi, courses en ville. Travaillé tard sur le livre des acquisitions pour le Bec en l’air. Regardé le soir les premiers films des frères Lumière.
Grand-Fayt – Avesnes-sur-Helpe (magasin d’alimentation, banque, jardinerie) – Grand-Fayt, 21,8 km en automobile, 1,984 kg de CO2.
19 mars
Levé à sept heures. À neuf heures au téléphone avec la personne qui gère notre dossier de rénovation énergétique de la maison. Dossier avançant. Marie part ensuite chez ses parents chercher le motoculteur car il va être temps de labourer. Bien avancé sur la transcription de l’entretien avec Lucas Leffler. Ni guitare ni népalais. N’était un moment au téléphone avec Émeline, journée extérieure à moi.
20 mars
Réveillé à six heures et demie. J’aime ces levers ces jours-ci. Feu, café, Gurbachan Sachdev, gymnastique quotidienne, vaisselle, le jour monte, les oiseaux s’activent, l’enchaînement des attentions est juste. Puis Marie descend pour le petit déjeuner. À neuf heures, une vidéo conférence avec un homme de Gilgit à qui Cédric a demandé d’écrire un texte pour son livre sur le Cachemire à propos des archives photographiques de cette région. À la fois pour qu’il se sente à l’aise et par une sorte de plaisir nostalgique, je lui raconte mes voyages chez lui, le Khunjerab en 1994, le petit musée de Baltit, le col de Shandur en 1998 avec le match de polo entre Gilgit et Chitral, tout cela qui me rappelle tellement l’excitation du désir du voyage avant le voyage tel que cultivé entre 1992 et 1994 dans le livre de Hugh Swift, puis le voyage de L’Usure du Monde en 2005, avec la traversée du Pakistan depuis Quetta jusqu’à Peshawar en passant par Multan, l’aller-retour vers Kaboul, puis Lahore, Wagha, le Ladakh ensuite… Où sont passées ces années où nous nous nourrissions de misérables certitudes, dont celle-ci que le monde nous voulait du bien ? Rien ne comptait que l’injonction rimbaldienne, « entre partout, réponds à tout, on ne te tuera pas plus que si tu étais cadavre », et en rien de temps la vie a fait de nous des bourgeois mi-épanouis, mi-culpabilisants. Tout est allé si vite. Le reste de la journée, en vidéo-conférence avec les beaux êtres humains de mon atelier. Dans cette journée à dominante pakistanaise, mon dieu, « quelque chose est resté en travers de la gorge ». Je ne suis pas un paysan de l’Avesnois, certes non.
21 mars
Levé à sept heures moins le quart. Anniversaire de Marie, que nous fêtons à Bruxelles avec Olga et les parents.
Grand-Fayt – Schaerbeek – Grand-Fayt, 253 km en automobile, 23,023 kg de CO2.
22 mars
Réveillé à sept heures moins le quart. Café et Kantipur au lit pour une heure encore. Marie à Chimay pour son stage. Un homme et sa fille sont arrivés à la porte à un moment dans la journée, oublié l’heure précise, pour me parler de Jésus. L’enfant avait dix ans tout au plus. Je me suis dépêtré de ce zélote avec honnêteté pour ce qui concerne mon rapport à Jésus, mais je ne suis pas parvenu à me fâcher ni à lui dire ce que je pensais de ce qu’il infligeait à sa fille. Que cette enfant ne puisse aller jouer avec ses camarades un samedi après-midi ! C’est le moment de la journée où il pleuvinait tristement comme savent geindre les cieux d’ici, avec une tristesse écrasante. Sinon, ordinateur pendant cinq heures pour le livre sur les acquisitions au Bec.
23 mars
Levé à sept heures moins le quart. Marie repart aussitôt pour une journée de répétition chorale. Et moi, cinq heures encore pour le Bec. Mais je n’envoie rien aujourd’hui. J’attends demain. J’ai trop honte d’avoir sacrifié mon dimanche au travail. Au bout de ces heures, fatigué. Sorti la grande échelle, fixé mon trépied au sommet et filmé l’entrée du nid des moineaux dans la façade. L’autre jour chez Philip et Yonola, écouté du John Surman depuis je ne sais quel site Internet. J’ai un disque de lui, que j’écoute trop peu car avec chaque fois l’impression de découvrir un monde. Joué, donc, en boucle toute la fin de journée. Le soir, regardé un documentaire sur Lucia Moholy, la première épouse de László Moholy-Nagy et, surtout, la photographe des œuvres de Walter Gropius, photographies dont Gropius a tout fait pour la priver, tant matériellement – en gardant ses plaques de verre par devers lui – que moralement – en lui en chicanant le droit d’auteur. Documentaire un peu lyrique par moments mais, pour aborder la spoliation du droit moral, en l’occurrence par un homme au sommet de la gloire au détriment d’une femme qui ne fut « que » photographe, bien construit. La diffusion de la photographie des œuvres d’architectes génère cela dit suffisamment de contentieux juridiques de nos jours encore, quel que soit le genre du ou de la photographe, que le documentaire aurait gagné à aborder la contemporanéité de ce problème. Il n’est pas aisé de discriminer si l’appropriation par Walter Gropuis des photographies de Lucia Moholy est motivée par sa seule domination patriarcale ou si son phallocentrisme se double d’une plus ou moins sincère assurance que ces images lui appartiennent puisqu’elles représentent ses réalisations. Dit autrement, l’abus de pouvoir est-il à déplorer au seul plan féministe ou aussi au plan du droit d’auteur ? J’aurais trouvé intéressant que le film pose au moins la question, et dise qu’elle reste d’actualité.
24 mars
Levé à sept heures moins le quart. Le maître d’œuvre délégué du chantier de rénovation énergétique de la maison a envoyé son dossier vendredi, que je dois valider. Deux bonnes heures sur ce sujet. Passé à la mairie poser des questions. Fabienne au téléphone pour discuter le texte sur le Cachemire. Fini de réécrire enfin l’entretien avec Lucas Leffler. Encore une relecture générale et je pourrai le lui envoyer. Un élève en fin de journée pour l’atelier d’écriture. Dans Andrew Hill toute la journée. Nous avions parlé avec Marie de labourer le potager aujourd’hui, avant que la pluie revienne. Mais vue ma concentration et mon occupation, elle n’est même pas venue me chercher. Je chéris le rêve d’un jour cultiver mes pommes de terre et d’en tirer une fécule dont je ferai des autochormes. Mais je voudrais tant que cela ne se fasse pas comme tous mes moments de plaisir aujourd’hui : entre deux portes. Tout ce que je fais de stimulant artistiquement, écrire, continuer les notes au jardin, attendre, filmer et photographier les oiseaux, défricher de nouvelles pistes techniques, lire, tout cela, je le fais en apnée. Ces actes ne sont pas posés sereinement dans un temps majoritairement consacré et nourri par la création, ils sont arrachés de justesse au temps alimentaire. À cet étouffement, je ne vois pas d’issue.
25 mars
Levé à sept heures moins le quart. Labouré le potager toute la matinée avec Marie. Heureux d’être dehors malgré le bruit de l’engin thermique. Il fait doux et ensoleillé. La terre est belle, fine, riche sans être collante. Moins de briques que l’année dernière. Fin de journée sur l’ordinateur. Répondu à des courriels pour le Bec. Échange émouvant avec Catherine Derioz au Réverbère de Lyon, qui ferme boutique après trente-six ans, épuisée et triste. Cuisiné en tarte du potiron du jardin, toujours aussi bon avec du fenugrec. Le soir, revu pour la première fois depuis sa sortie en salle L’Auberge espagnole de Cédric Klapish. Je passe un plus ou moins bon moment. Certes il y a des personnages attachants. Mais les souvenirs que cela réveille ne sont pas tous agréables, ni de sentir de façon aussi aiguë et accélérée qu’on a pris trente ans nous aussi, comme le film. J’avais oublié combien ce cinéma est mal filmé, tricoté de ficelles fluorescentes et techniques datées. Un certain malaise d’avoir aimé cela un jour. Et impossible de voir le personnage de Judith Godrèche refuser un baiser puis céder finalement aux avances de celui de Romain Duris sans lire cette scène à la lumière de son combat actuel.
26 mars
En route vers Paris pour la journée. Un nouvel atelier pro, officiellement dit « développement de carrière », commence à VU’. Marie ne m’emmène pas, j’y vais seul et laisse l’automobile au parking. L’agence se vide. Les cartons se remplissent. Le déménagement approche. Lorène me rend deux douzaines de DVD sur lesquels j’envoyais mes nouvelles photographies autrefois. Une vidéo-conférence pour l’atelier d’écriture dans le bureau de Patricia. Déjeuné seul au Lusitanien. Atelier pro donc ensuite. Repris le dernier train, qui reste une heure en gare de Busigny à cause d’un train en panne avant Aulnoye-Aymeries. Marie m’attend pour manger à passé vingt-deux heures trente. Encore un peu de guitare avant de dormir.
Grand-Fayt – Aulnoye-Aymeries, 12,2 km en automobile, 1,110 kg de CO2.
Aulnoye-Aymeries – Paris-Nord – Aulnoye-Aymeries, 434 km en train, 11,000 kg de CO2.
Aulnoye-Aymeries – Grand-Fayt, 12,2 km en automobile, 1,110 kg de CO2.
27 mars
Ce matin Marie est descendue la première, vers sept heures et quart. Descendu peu après. Un des deux geais des chênes qui vivent ici glanait sous la mangeoire les graines laissées pour compte par les mésanges et les moineaux. Ces geais sont farouches. Ils ne s’attardent pas au contact des autres oiseaux, remontent vite dans le noisetier puis disparaissent de notre vue. Que j’aimerais un jour les photographier. Et le pic dans les grands arbres toujours pique sans que je puisse dire où, malgré son vacarme. Mais le temps que je me le dise n’est pas de la même nature que celui de leur fugacité. Remonté pour le café et le Kantipur au lit. Puis Fabienne en vidéo-conférence pour parler des prochains livres. Une autre vidéo-conférence pour l’atelier d’écriture ensuite. Courses en ville en fin d’après-midi. Moi ? Nowhere to be found.
Grand-Fayt – Avesnes-sur-Helpe (magasin d’alimentation) – Grand-Fayt, 21,8 km en automobile, 1,984 kg de CO2.
28 mars
Levé à sept heures moins le quart. J’aime ces premiers moments du jour et ce rythme quasi immuable, les oiseaux les premiers s’activent, se répondent de haie en haie, le bruit résonne sur le plafond de ceux qui nichent dans le mur de la chambre, les trois dernières marches de l’escalier ploient en grinçant, le bansuri de Gurbachan Singh Sachdev s’installe dans l’air, je sors chercher du petit bois dans le froid, l’air bientôt se réchauffe, je ressors chercher une bûche, nourris au passage les chats de Marie, le café monte avec son grognement tellurique, les nouvelles du Népal dans le Kantipur me rappellent que le temps des voyages est derrière moi, mais la mémoire travaille et je ne sais quelle zone du cerveau s’active pour fluidifier la lecture en devanagari, il faut toujours quelques minutes, une brève gymnastique devant le poêle, les muscles moins gourds à présent, la peau brûle si le feu va trop fort, la clarté a gagné la partie, le soleil poindra bientôt derrière le noisetier, la vaisselle, une douche, un peu de guitare, puis Marie descend… C’est la troisième séance collective de mon atelier d’écriture pour VU’ ce matin, celle dédiée à la littérature sur la photographie, de Niépce à François Cheval en passant par Howard Becker et Robert Bresson. Au courrier cet après-midi, une lettre du Musée d’art contemporain du Grand-Hornu, refusant ma proposition d’acquisition de tirages de deux photographies de Belgique. J’avais choisi deux images du passé industriel du pays, à Blégny-Trembleur et Nessonvaux. Trop citatif sans doute. Trop illustratif. Trop documentaire. J’avais envoyé cette proposition l’été dernier. Neuf mois pour un non. Cette nouvelle m’angoisse. Partant, passé l’après-midi à essayer de comprendre les procédures d’acquisitions dans les Fonds régionaux d’art contemporain et quelques musées.
29 mars
Levé à six heures et demie. Les parents de Marie sont venus travailler dehors. Avec son papa, enfin achevé les finitions de la toiture de l’auvent de la 2CV. Marie et sa maman ont préparé les pommes de terre à planter bientôt. Cuisiné une omelette avec les restes du repas d’hier. En fin d’après-midi, parti à Maroilles et Avesnes faire trois courses.
Grand-Fayt – Avesnes-sur-Helpe (magasin d’alimentation, librairie) – Maroilles – Grand-Fayt, 30,8 km en automobile, 2,803 kg de CO2.
30 mars
Levé à neuf heures et demi, dont une inexistante. Une journée d’hier à grimper à l’échafaudage, taper, tirer, pousser, visser, couper, clouer, et il n’en faut pas davantage : fatigue et tendinite. Aller-retour vers Bruxelles. Un restaurant pour quatre anniversaires.
Grand-Fayt – Schaerbeek – Grand-Fayt, 253 km en automobile, 23,023 kg de CO2.
31 mars
Levé à sept heures moins le quart. À neuf heures joué aux échecs avec Olga. À dix, travaillé pour le mentorat. Jusque seize heures ensuite à préparer ma proposition au Frac des Pays de la Loire. Une élève de l’atelier d’écriture ensuite. Le soir arrivent les amis hollandais de Marie. Couscous du jardin. Parlé néerlandais toute la soirée.
1er avril
Réveillé à cinq heures et demi. Debout à six heures et quart. Paris, deux jours de mentorat. Session collective d’abord. Sessions individuelles ensuite, d’une demi-heure chacune, pour donner la direction de la suite du travail. Puis seul le soir chez Agnès et Francis, avec Gurbachan Sachdev. Parlé musique indienne d’ailleurs aujourd’hui, car un des élèves du mentorat a fait deux ans de sitar, et a lu des passages de ce journal où je parle de cette musique certains matins. Avec qui en France puis-je évoquer les noms de Kishori Amonkar, Nikhil Banerjee ou Ashwini Deshpande, et que cette évocation ouvre un paysage commun ?
Grand-Fayt – Aulnoye-Aymeries – Grand-Fayt, 24,4 km en automobile, 2,220 kg de CO2.
Aulnoye-Aymeries – Paris-Nord, 217 km en train, 5,500 kg de CO2.
Gare du Nord – Voltaire, distance inconnue, métro lignes 5 et 9, 0,012 kg de CO2.
Voltaire – Chaussée d’Antin-La Fayette, distance inconnue, métro ligne 9, 0,016 kg de CO2.
Chaussée d’Antin-La Fayette – Voltaire, distance inconnue, métro ligne 9, 0,016 kg de CO2.
2 avril
Dormi tôt hier. Réveillé à six heures et quart. À VU’ ensuite, pour travailler en attendant ma présentation de l’après-midi pour le mentorat. Littérature photographique et droit d’auteur. Repris le train de dix-neuf heures dix-huit, arrivé à Aulnoye-Aymeries à vingt-et-une heures, Marie m’attendait. Heureux de retrouver un endroit familier.
Voltaire – Chaussée d’Antin-La Fayette, distance inconnue, métro ligne 9, 0,016 kg de CO2.
Paris-Nord – Aulnoye-Aymeries, 217 km en train, 5,500 kg de CO2.
Grand-Fayt – Aulnoye-Aymeries – Grand-Fayt, 24,4 km en automobile, 2,220 kg de CO2.
3 avril
Levé à sept heures et quart. Une participante à l’atelier d’écriture le matin. Un autre l’après-midi. Tous deux très heureux. Entretemps, tenté de trouver des chemins pour rassembler trois sous de droits d’auteur. Je m’y épuise. Ma sœur a appelé, pour me donner des nouvelles de la 504. Elle l’a passée au garage pour décoincer la pédale d’accélérateur et faire la vidange annuelle.
4 avril
Réveil à six heures pour accueillir le livreur de bois à sept. Incapable de me lever, me rendors une demi-heure. Faible ce matin. Fébrile. Peut-être ai-je rapporté une crasse de Paris. Me recouche dès que le livreur a livré, mais guère longtemps car ma première élève est à neuf heures et demie. Participante heureuse, elle aussi, mais, moi, épuisé. Vidéo-conférences à nouveau dès quinze heures et jusqu’au soir. Avant de dormir, revu cent huit films de cinquante deux secondes des frère lumière présentés par Thierry Frémaux. Nous avions regardé en ligne, il a peu, le début de cette collection de courts métrages. Vues la force des images et l’indigence du transfert de données, je m’étais enquis du prix du DVD, que l’Institut Lumière vend pour dix euros. Acquis, donc. Arrivé récemment. Cette petite fille vietnamienne qui court vers la caméra dans les années 1900 est bouleversante. Les frères Lumière ont filmé le photojournalisme avant qu’il existe.
5 avril
Levé tard, proche de huit heures. Premier depuis des jours sans aucun engagement jusqu’au soir. Rangé avec Marie le bois livré hier. Puis elle part à un salon d’artisans à Fourmies après le déjeuner. Après-midi seul. Il me faudrait six mois de travail pour rattraper ce que je voudrais être et qui s’enfuit. J’ai cinq heures. Filmé des oiseaux. Ce sont des étourneaux qui s’accaparent le nid de moineaux dans une anfractuosité du mur ouest de la maison, juste sous la corniche, à l’angle avec le mur sud. Quand les uns et les autres s’activent chaque matin, nous les entendons clairement dans la chambre marcher sur les plaques du plafond. Sorti la grande échelle. Mais le son, pris par le microphone de l’appareil photographique, est corrompu par les rafales d’aquilon. Je vais devoir monter la bande son outrancièrement. Et dès demain sans doute, utiliser l’enregistreur avec sa bonnette anti-vent, synchronisé sur l’appareil photographique. Une bonne partie de l’après-midi, échafaudé pour cela une technique. Maman a 78 ans. Regardé un film de James Benning, American Dreams: Lost and Found, sur l’histoire des États-Unis de 1954 à 1976, à quatre voix avançant simultanément : une séquence de cartes-souvenirs d’une star du baseball, Henry Aaron, et un texte manuscrit défilant en bandeau au bas de l’écran, manifestement le journal d’un meurtrier politique, constituent les deux plans du paysage visuel du film, ensuite, des extraits d’actualités radiophoniques et des chansons d’époque pour la plupart familières en constituent le paysage sonore. Rien n’est jamais érigé en système chez Benning. Troisième film que je vois, après Casting a glance et 11 x 14, trois principes sans rapport entre eux, trois expériences visuelles, sensibles et intellectuelles. J’aimerais parvenir à ce niveau d’ouverture.
6 avril
Levé vers sept heures et demie. Marie repartie. Filmé des oiseaux encore, au même endroit, en buvant le café assis par terre dans la chambre. Toujours cet étourneau qui s’arroge un nid dans celui des autres. Mais ce matin, filmé un moineau venu constater le préjudice. Seul intervenant sur douze minutes. Avec le film précédent, cela ferait une petite histoire. L’année dernière, quelques apparitions sur le temps d’une seule captation de douze minutes me suffisaient. Cette année je suis tenté par le montage, pour rendre l’attente un peu moins longue. Est-ce mal ou bien ? Je n’en sais rien, attendu que je n’ai pas établi de protocole et avance sans but, autre qu’observer ces oiseaux qui tolèrent notre cohabitation. Quatre heures d’ordinateur à remplacer les bourdonnements éoliens du film d’hier par des rustines issues d’autres passages. Me suis senti débordé par cette occupation dont je n’avais pas envie. Cuisiné en curry les derniers choux de Bruxelles et poireaux de l’hiver, avec des carottes des parents, pour Marie qui rentre largement passé dix-neuf heures de son salon artisanal.
7 avril
Réveillé avant cinq heures. Levé à six. Train vers Paris. À VU’ vers dix heures. Philip au téléphone pour parler d’un projet à soumettre ensemble pour créer un livre d’artiste dans le cadre d’un appel à candidature de l’Adagp. Sylvain Besson à Niépce en vidéo-conférence ensuite. Dans un hôtel de l’avenue d’Italie enfin, non loin de l’Inalco, pour présenter les nouveautés d’août et septembre aux représentants d’Harmonia Mundi, au nom de Fabienne. Retour à la maison par le train de dix-sept heures seize désormais, plus dix-huit.
Grand-Fayt – Aulnoye-Aymeries – Grand-Fayt, 24,4 km en automobile, 2,220 kg de CO2.
Aulnoye-Aymeries – Paris-Nord – Aulnoye-Aymeries, 434 km en train, 11,000 kg kg de CO2.
Grand-Fayt – Aulnoye-Aymeries – Grand-Fayt, 24,4 km en automobile, 2,220 kg de CO2.
8 avril
Levé à sept heures et demie. Journée de vidéo-conférences pour VU’. Élèves ravis. Moi aussi, et par conséquent épuisé. Quatre être humains magnifiques de fragilité et de ténacité.
9 avril
Réveillé à cinq heures et demie. Levé à six. Il fait encore noir. Et de nouveau froid. Après un premier jour sans feu, dimanche je crois, la température matinale est redescendue sous zéro et j’ai repris mes flambées aurorales. Pour aller jusqu’à l’étable chercher du petit bois, j’allume brièvement la lumière électrique extérieure ce qui réveille moineaux et mésanges prématurément. Et dans l’étable pareillement j’allume pour voir ce que fais, et par une fenêtre arrière donnant chez le voisin la lumière réveille son coq. C’est systématique. Dès que j’éteins il se rendort, à tout le moins il se tait. À VU’ à dix heures. Journée complète au service d’un groupe de six personnes souhaitant dynamiser leur carrière de photographe. Déjeuné avec Mathias et Patricia. Emporté La Voie nomade d’Anne Perrier, que m’avait fait connaître Caroline Recher. Quelle paix, quel soulagement dans cette épure. Beaucoup de ses mots atteignent à l’intérieur des endroits ignorés. Ceci, page 111 : « Si le monde / Était un raisin transparent / Qui survivrait ? » Et tout le tumulte et le bête fracas contemporain est ramené à ce qu’il est : passant. Soupé au Portugais, en lisant, tranquillement. À la fin du repas le patron m’offre un verre d’aguardente velha, « l’eau ardente vieille », une eau-de-vie de vin couleur d’ambre. Dormi vers onze heures à l’hôtel juste en face de l’agence, où Mathias m’a réservé une chambre.
Grand-Fayt – Aulnoye-Aymeries – Grand-Fayt, 24,4 km en automobile, 2,220 kg de CO2.
Aulnoye-Aymeries – Paris-Nord, 217 km en train, 5,500 kg kg de CO2.
10 avril
Réveillé à sept heures. Debout à huit heures moins le quart. Bien dormi. Moins bruyant que prévu. Écrit à Caroline pour la remercier de m’avoir éclairé d’Anne Perrier. À neuf heures et demie à VU’. Avec Mathias, Jean-Robert, Guillaume Herbaut et Martina Bacigalupo qui s’est jointe à nous, parlé de notre projet de formation documentaire et des rôles que chacun pourrait y tenir. En début d’après-midi, parti voir un tirage de Denis Brihat dans le cinquième arrondissement. Au Lusitanien le soir, à lire Anne Perrier en attendant le repas. Longue journée, mais agréable.
Chaussé d’Antin-La Fayette – Place Monge – Chaussé d’Antin-La Fayette, distance inconnue, 0,036 kg de CO2.
11 avril
Réveillé à cinq heures et demi. Rendormi jusque sept. En lisant sa biographie ce matin, découvert qu’Anne Perrier était aussi lusophone et de cette langue, traductrice. Séance de clôture de l’atelier d’écriture, avec mes quatre élèves que je n’avais pas rencontrés le 7 mars pour cause d’obus de la guerre. Décidément un beau groupe. Pleurs et joie. Déjeuné ensemble au Lusitanien, présents, ambiance légère et généreuse.
Paris-Nord – Aulnoye-Aymeries, 217 km en train, 5,500 kg kg de CO2.
Grand-Fayt – Aulnoye-Aymeries – Grand-Fayt, 24,4 km en automobile, 2,220 kg de CO2.
12 avril
Levé à sept heures. Marie part à Chimay enseigner l’art des fleurs en papier. Labouré la seconde moitié du potager avec son papa. Déjeuné ensemble. Nous allons bientôt refaire la toiture de l’ancienne écurie servant d’abri de jardin. Discussions et mesures. Après-midi sur l’ordinateur, à finaliser le document de travail de l’atelier d’écriture. Refait des dossiers d’auto-promotion : artistique, pédagogique, texte de démarche… Ce qui m’a conduit jusqu’au soir.
13 avril
Levé à huit heures et demie. Les étourneaux et les moineaux toujours se chamaillent pour la propriété du nid dans l’angle de la maison. Un écureuil court dans la prairie. Mis en ligne l’entretien avec Lucas Leffler, dont il est content. Pour le reste, dimanche administratif. Le soir, regardé La fille inconnue des frères Dardenne. Je trouve remarquable la façon dont ce film est tendu de grands sujets douloureux – les migrations, la précarité, la prostitution, l’alcoolisme, l’épuisement des médecins, les violences familiales, la police… – sans que jamais ne nous soit soulignée aucune de ces thématiques comme étant le sujet à comprendre, ni ne nous soit prescrit ce qu’il faudrait en penser, ni ne nous soit enjoint de nous apitoyer ou nous réjouir. Ce n’est pas un film sur l’un ou l’autre de ces thèmes. C’est un film pris dans la vie, où tous sont constamment emmêlés. En ce sens très ackermanien. Le seul sujet du film, c’est sans doute la complexité enchevêtrée de tout. Il réussit en cela ce que suggère Robert Bresson : « Les idées, les cacher, mais de manière qu’on les trouve. La plus importante sera la plus cachée ». Et ce qu’espère avoir atteint Arno Bertina dans SebecoroChambord : « avoir pris le dessus sur la tentation de souligner, motivée par la crainte de ne pas être compris, et – plus détestable ou consternant – le désir que le lecteur ne passe pas à côté de l’intelligence du texte ». Aucune pédagogie dans ce film, aucune démonstration, à moins que dans ce respect du spectateur ne se trouve la démonstration même de la pédagogie : nous laisser penser et sentir par nous-mêmes.
14 avril
Réveillé à sept heures. Café et Kantipur au lit jusque huit. Marie et ses parents sèment petits pois et fèves des marais. Moi, journée technique. आज नेपालीहरूले नयाँ वर्ष मनाउँदै छन् । हार्दिक शुभकामना मेरा साथीहरू । C’est l’année 2082. Et dans onze jours, cela fera dix ans que la terre a tremblé.
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à suivre…
1 Frédéric Lecloux, « La Convivialité I », blog Aux Bords du cadre [en ligne], 10 août février 2024. URL : https://www.fredericlecloux.com/la-convivialite-i-photographie-et-anthropocene/.
2 Comme écrit dans l’addendum à la note 2 de la première livraison de ce journal, en cherchant les données des émissions de dioxyde de carbone des trains Ouigo Classique, j’ai trouvé cette page : https://www.sncf-connect.com/retrainspective-generique-sncfconnect_mentions-legales, sur laquelle les chiffres annoncés par kilomètre et par voyageur sont sensiblement supérieurs à ceux retenus depuis le début de ce journal : 3,7 grammes pour les TGV Inoui, 3,6 pour les Lyria (non retenu ici), 30,4 grammes pour les TER, 7,5 grammes pour les Intercités (et sans doute aussi Transiliens) et 151 gr pour les autocars. Quant au Ouigo Classique, le taux annoncé est également de 7,5 grammes de CO2 par kilomètre et voyageur, que je retiens ici.
3 Il s’est agi d’une Range Rover annoncée émettre 235 grammes de CO2 par kilomètre.
4 Il s’est agi d’une Toyota Auris Hybride annoncée émettre 91 grammes de CO2 par kilomètre.
5 Il s’est agi d’une VW Polo ancienne annoncée émettre 146 grammes de CO2 par kilomètre.
Photographie : Mésange et moineaux domestique dans le noisetier, 1er février 2025, de la série « La Convivialité ».
Ce journal fait partie d’une recherche artistique sur la possibilité de photographier dans l’Anthropocène, entamée par nécessité et poursuivie avec le soutien de l’Aide individuelle à la création de la Direction régionale des affaires culturelles du ministère de la Culture. Merci à Léa Bismuth pour son écoute. Le titre de travail de cette recherche, La Convivialité, est directement emprunté à celui du livre d’Ivan Illich (Le Seuil, 1973).