Bonne année
Fin 2017, sous le titre Bonne année, Le Bec en l’air publie les cartes de vœux de quelques grands photographes : Robert Doisneau, Denis Brihat, Jean-Pierre Sudre, Jean Dieuzaide, Édouard Boubat, Izis… J’ai eu le plaisir d’écrire le texte accompagnant ces correspondances. À l’occasion de cette parution, en voici les premiers paragraphes.
La suite est à découvrir dans le livre, disponible chez votre libraire et sur le site du Bec en l’air à partir du 2 novembre 2017.
J’aurai donc moi aussi fait le voyage à Bonnieux. J’aurai partagé la table des Brihat, et avec eux trinqué comme il se doit…
Denis – Vous fonctionnez à quoi ?
Moi – Je suis multi-combustible !Ce sera le Coriançon blanc apporté de Vinsobres. Accompagnant les aubergines blanches du jardin, préparées par Solange.
Lorsque débute l’histoire dont je suis venu me faire conter ici un chapitre, j’étais loin d’être né. C’est une histoire de cartes de vœux. Je céderai dans quelques lignes la place à ses personnages, mais auparavant j’aimerais dire un mot de ce décalage temporel. Il rayonne chez les Brihat soixante ans d’histoire de la photographie, qui en compte moins de deux cents. J’aurais pu me sentir tenu d’arriver ici comme on vient au musée. J’espérais qu’il n’en serait rien. J’espérais à raison. Le visiteur peut se garder d’aucune obséquiosité : ce n’est pas le genre de la maison.
Loin d’un figement, ici tout est flux. Un flux qui confirme une des rares vérités auxquelles j’ai résolu de croire depuis le temps que je me demande ce qu’est une photographie et ce qu’elle fabrique : c’est qu’ « il n’y eut jamais d’âge d’or, sauf pour ceux qui savaient se l’inventer au quotidien ». Je tiens la leçon de Christian Caujolle dans sa postface à L’Usure du Monde. Leçon qui me sert tous les jours. Elle se rapporte au voyage mais vaut aussi bien pour la photographie. Voyageur ou photographe, ou les deux, il se trouve toujours bien quelqu’un pour estimer que ses prédécesseurs eurent la chance d’œuvrer dans des circonstances plus favorables et moins galvaudées que les siennes, tout étriqué qu’il se sent dans son triste aujourd’hui.
Mais non. Ni le temps de Joseph-Nicéphore Niépce, ni celui de Gustave Le Gray, de Lewis Hine ou d’Ed Van der Elsken, pas davantage celui de la bande de copains dont il sera question dans ce livre – Brihat, Sudre, Dieuzaide, Doisneau, Ronis et quelques autres –, ne constitue-t-il un moment « pur » de la photographie « véritable » qui désormais aurait été anéanti – par le numérique, cela va sans dire, après l’avoir été déjà, au hasard, par l’Instamatic. Comme dirait Denis Brihat : « foutre non ! ».
Texte publié dans : Denis Brihat, Robert Doisneau, Jean-Pierre Sudre, Jean Dieuzaide, Willy Ronis, Édouard Boubat, Bonne année, Le Bec en l’air, 2017
