La Convivialité III
Journal d’Anthropocène après un déménagement en Avesnois
Troisième partie : 20 octobre 2024 – 14 janvier 2025
La lectrice ou le lecteur souhaitant connaître la raison d’être de ce journal peut en lire l’introduction, exposée en préambule à sa première livraison 1.
20 octobre
Levé à sept heures. Café. Rangé les courriels et travaux ramenés de la semaine d’absence. L’après-midi, avec Marie, nettoyé un frêne envahissant les fenêtres de la maison côté rue, et rempli la benne de la 504 de ses frondaisons.
21 octobre
Réveillé d’abord à trois heures puis à sept heures moins le quart. Café, feux, chez Marie et dans la cuisine, puis préparation de la journée d’atelier d’écriture pour VU’, en vidéo-conférence. Trois élèves.
22 octobre
Réveillé à sept heures, Kantipur et café au lit jusque sept heures trente. Puis courses en ville. Après-midi de vidéo-conférences ensuite, pour VU’. Participantes contentes. Un courriel de l’ADAGP m’annonçant que je fais partie des lauréats de l’appel à candidature pour la bourse Temps de Recherche de quatre mille euros, avec le projet que j’avais intitulé « Entrer en matière ». Bonne nouvelle, qui me permettra d’une part de tenter de faire du collodion et des autochromes, et d’autre part d’atteindre la fin de l’année sans m’angoisser.
Grand-Fayt – Avesnes-sur-Helpe – Grand-Fayt, 25 km en automobile, 2,275 kg de CO2.
23 octobre
Levé à huit heures et quart, après une bonne insomnie de trois à cinq. Kantipur. En ville par la grand-route avec la 504, déchetterie et courses oubliées hier, posé la tronçonneuse au magasin pour vérifier le guide, qui me semble vrillé. Fini la journée par la réécriture des textes pour Marin, dont une infirmière qui raconte son burn-out avec une précision effrayante.
Grand-Fayt – Avensnelles – Grand-Fayt, 29,2 km en camion diesel, 5,957 kg de CO2.
24 octobre
Pensé continuer à travailler pour Marin, mais passé une bonne partie de la journée pour du Bec en l’air. Le chauffagiste du bout de la rue est venu prendre des mesures pour un devis pour la rénovation énergétique de la maison, puis il était temps de préparer à manger pour Marie qui part à sept heures moins quart à la chorale, puis après avoir mangé moi-même, plus le goût de travailler. Regardé Je, tu, il, elle de Chantal Akerman. Un film sur la sexualité ? Sur le regard féminin ? Ce combat d’amour final est beau et dérangeant. La place donnée au son, aux voix, au silence, cherche tout sauf à nous séduire. La scène où Chantal Akerman demande à Claire Wauthion à manger, et mange ses tartines de Nutella sans un mot, comme une enfant affamée, dans cette scène, l’absence de mots autre que ceux nécessaires à demander de la nourriture et bouleversante. Pas de guitare depuis le retour de Dinard.
25 octobre
Réveillé à cinq heures et demie. Levé à sept. Hier soir dans Pierre Bergounioux, page 336 : « passé un certain âge, les souvenirs nous tuent ». Il fallait l’écrire. Feux ici et là, voilà un mois déjà que nous chauffons tous les jours. En Drôme on commençait à peine. Café, Mohihuddin Nagar en boucle. Hier soir en m’endormant, j’ai noté sur un bout de papier ces mots, qu’il m’a déjà fallu un long moment pour parvenir à déchiffrer : « tourné d’une manière décalée ». À quoi je faisais référence ? Plus aucune idée ce matin. Pas au film de Chantal Akerman assurément, qui est tellement radical qu’on ne peut même plus parler de décalage. À Ed van der Elsken ? Ce n’est pas un éventuel décalage – d’ailleurs par rapport à quelle norme ? – qui m’a touché, mais la banalité de la vie enregistrée dans Avonturen op het land. Atelier collectif pour VU’ ce matin. Séance dédiées à l’écriture des biographies. Pas pu tout finir, car j’ai à nouveau trainé en route. Cinq biographies en deux heures et demi, c’est trop de travail en trop peu de temps. Mais ce n’est pas grave, l’ambiance était détendue, la participation bienveillante, et le résultat de qualité. Les parents de Marie étaient là, ils ont travaillé dehors. Je les ai à peine vus.
26 octobre
Réveillé à six heures et demie. Levé à sept. Café, feu. À Maroilles à vélo, retirer des livres au point de livraison. Des Photo Poche trouvés à bon prix en occasion. Le Robert Doisneau et le coffret Histoire de voir, paru en 1989 à l’occasion des cent cinquante ans de la photographie. Où l’on constate que le milieu fêtait il y a 35 ans le siècle et demi d’un médium dont il fêtera le bicentenaire dans un peu plus d’un an, en 2026. Il a d’ailleurs déjà commencé. Treize ans volatilisés. Puissance de ramassement du temps de la photographie ! Je me demande s’il y eut des événements en 1976, ou si célébrer les cent cinquante ans de la photographie en prenant comme balise liminaire, plutôt que le « Point de vue du Gras », la présentation de François en 1839, était ce qui semblait normal dans ces années 1970 et 1980. Une autre façon de poser la question : je me demande si l’intérêt pour les travaux de Niépce, avec la constitution du « Point de vue du Gras » comme jalon spatiotemporel des origines de la photographie, est postérieur à ces années où naissait l’institutionnalisation du médium. Ce serait étrange car la redécouverte de ce « point de vue » date de 1956, ce qui laissa jusqu’en 1976 quelque temps à l’historiographie pour redonner sa juste place et à Daguerre et à Niépce. Il me semble par ailleurs que cette héliographie est tantôt datée de 1826, tantôt 1827. Cette hésitation permettra certainement aux spécialistes d’étaler les célébrations. Il semble d’ailleurs possible que Niépce ait réalisé dès 1822 une « héliographie », une nature morte connue sous le titre « La Table servie », aujourd’hui perdue. Relu, sur le site de John Hilty, sa méthode pour créer et développer des plaques autochromes. Beaucoup de choses que je ne comprends pas. D’étapes aussi qui me semblent trop « technicisées » : le recours à une imprimante en trois dimensions pour fabriquer une pièce de plastique où loger les plaques de verre qui soit insérable dans le porte-châssis de sa vieille chambre quatre fois cinq pouces, l’utilisation d’un robot complexe et cher pour aplatir la fécule teintée entre les plaques de verre de façon régulière, l’utilisation d’un ancien jeu de filtres Cibachrome pour compenser les aberrations chromatiques… Cet anachronisme me gène. Faire des photographies sur plaques autochromes était possible sans ces biais, autrefois, j’imagine ? Pas tout à fait : le laminage des plaques était réalisé industriellement, puisque les plaques commercialisées étaient prêtes à l’usage. Mais des chambres existaient qui pouvaient certainement accueillir ces plaques sans modification. Donc Hilty pallie ce qui passe aujourd’hui pour un défaut – la lenteur du laminage manuel des plaques, la non adaptation de son porte-châssis – par des solutions techniques écologiquement aberrantes. Quoi qu’il en soit, maintenant que j’ai reçu ces sous de l’ADAGP, il va bien falloir comprendre ces choses que je ne comprends pas, et résoudre ces questions d’une façon qui me convienne. Au courrier postal en outre, le Photo Poche dédié à Camera Work. Marie a fini les étuis pour le portfolio de L’Usure, c’est très beau. Angelo au téléphone depuis Katmandou. Pris rendez-vous avec Olivier Jeannin pour une vidéo-conférence où je voudrais lui demander de me former au collodion, et son avis sur les autochromes et la possibilité de suivre John Hilty. Dans l’air du temps, décidément, ce retour à la matérialité, omniprésent, encore avec cette commande du Cnap pour « Réinventer la photographie », ce que m’a aussi confirmé Francis qui participait à un jury l’autre jour : tous les dossiers tournent autour des techniques anciennes. Depuis quelques temps, du reste, ce journal ne parle plus du tout d’Anthropocène. Peut-être faut-il que je l’arrête ? Ou peut-être continuer jusqu’à la fin, comme Pierre Bergounioux semble s’y être attaché. Pourvu quant à lui que cette fin n’échoit pas trop vite, sa parole me manquerait vite.
27 octobre
M’est venue une idée d’une chose à consigner dans ce journal en lien avec le constat formulé hier que je n’y parlais plus guère d’Anthropocène, à l’instant parfaitement intelligible et indispensable, mais faute de l’avoir notée sur un bout de papier, perdue. Lu hier soir l’entretien avec Robert Doisneau reproduit dans ce vieux Photo Poche. J’aime de plus en plus cet homme et ses images. Son œuvre est bien plus profonde que la minuscule galerie de clichés à laquelle nous a habitués la littérature spécialisée. Quoi de plus stimulant pour moi de lire cette exergue, par exemple : « Si tu fais des images, ne parle pas, n’écris pas, ne t’analyse pas, ne réponds à aucune question » ! Exactement l’inverse de ce que j’enseigne au quotidien. Cela en fait, du grain à moudre ! Et pourtant, le « père Doisneau », comme dit Denis Brihat, répond aux questions ! Notamment sur ce qui fait selon lui une bonne photographie. Et, pas loin de Michaux, il dit ceci : « j’essaie toujours de trouver entre les gens un espace intérieur, c’est ce qui rend l’image lisible ». C’est qu’il a quand même une idée derrière la tête. Il parle d’endroits où il est déjà retourné bien des fois sans que l’image vienne. Le décor est le bon, mais l’espace ne s’intériorise pas. Ceci aussi : « Le voyage ne m’a jamais beaucoup intéressé, je suis mal équipé pour ça, je ne parle aucune langue étrangère, il me faut beaucoup de temps pour comprendre et l’idée de me trouver devant le pacifique ou le lac Baïkal a tout pour m’effaroucher ». J’allais écrire : « de l’anti-Bouvier ». Mais pas tant que ça. Intuition à développer. Ceci enfin (mais cet entretien entier devrait être republié !) : « Contrairement à ce qu’on croit, la presse ce n’est pas l’aventure, c’est presque toujours la mésaventure. Plus ça va mal plus il y a de photographes, et là où il y a beaucoup de photographes on peut être sûr qu’on ne photographiera que des choses sans importance » ! Plongé ensuite dans cet excellent petit coffret, Histoire de voir, où j’apprends beaucoup, à commencer par des noms de pionniers, et à m’imprimer des images classiques dans la tête. Les textes de Michel Frizot sont séduisants mais, pour des notes introductives aux œuvres présentées, parfois un peu ardus, non tant dans les termes utilisés que dans un ton un peu « jus de crâne », comme disait Lise Sarfati. Il faut que je les relise pour comprendre ce qu’il veut dire, et ce matin, contrairement à Doisneau, je n’en ai rien retenu. En descendant, ébloui par le brouillard qui stagne sur le village. Somptueux. Un brouillard à la Bernard Plossu. Avant même de démarrer le feu, sorti l’Isolette, un film cent vingt du frigo issu du lot périmé acheté à Paris l’autre jour, me suis planté avec le trépied au milieu du potager et j’ai fait un grand panoramique de trois cent soixante degrés en douze photographies. Puis quatre autres photographies encore. Je ne sais ce que cela donnera, évidemment. Ah ! La voilà mon idée de ce matin : en vérité je crois que je ne supporte plus bien de ne pas savoir de suite ce qu’il y a sur l’image. Je ne le jurerais pas, mais j’ai cette sensation. Peut-être est-ce de n’avoir plus fait de pellicule depuis trop longtemps et de m’être habitué à l’immédiateté du numérique. En cause de quoi je sais désormais trop précisément le résultat que je veux obtenir. Qui n’est peut-être d’ailleurs pas bon parce que je ne laisse plus de place au hasard. Peut-être est-ce par fainéantise que je me suis laissé happer par la facilité apparente des claviers et des écrans, comme ce journal numérique, qui disparaîtrait si demain il n’y avait plus d’électricité. Émeline m’a offert un carnet, mais j’ai oublié comment on écrit dans un carnet. Photographiquement, je pourrais peut-être même dire que je ne suis plus à la recherche d’une image cueillie au hasard de ce que la vie veut bien me mettre sous les yeux. Ce qui signifie, contrairement à ce que je raconte à mes stagiaires, que le texte « Une photographie », qui me sert de texte de démarche, basé sur l’attente et valable autrefois avec les diapositives, est désormais obsolète. Les images réalisées ce matin n’ont pas du tout le même statut à mes yeux que celles prises en numérique. Et en comparaison, j’ai l’impression, statut dégradé. Je ne peux pas formuler en quoi, mais je le sens. À tout le moins perçu comme tel au moment même. Je fais ces images avec moins d’attention, moins de sérieux, moins de désir aussi. Sauf ce matin, ce n’est pas vrai : c’était impérieux. En voyant cette brume, j’ai observé monter ce besoin de faire ces images-là avec cet appareil-là. J’ai eu envie du négatif. En partie sans doute parce que je m’y suis engagé auprès de la Drac. Mais si c’est raté, l’idée de devoir remettre toute la machine en mouvement, attendre une prochaine brume, me couler à nouveau dans l’énergie de ce matin, racheter du film, le remettre dans le magasin, une fois insolé le renvoyer au laboratoire, numériser les images, les tirer en encres pigmentaires, toute cette latence m’ennuie, me fatigue et cette abondance de moyens m’angoisse. Il y a trop de gaspi quand on n’y arrive pas. Je vais pourtant apporter tout cela à Diamantino la prochaine fois, et aussi lui demander de pouvoir être présent lors du développement, parce que je m’y suis engagé dans ma candidature à la bourse Temps de recherche de l’ADAGP, et parce que tout de même, je n’ai pas envie de mourir idiot. Commencé le Camera Geologica de Siobhan Angus, dont la référence m’a été soufflée par Édouard de Saint-Ours au musée Guimet. Laquelle dans son introduction confirme deux points qui étaient au cœur de ma discussion avec Arno Gisinger l’autre jour : d’abord que la question à l’origine de mon projet de thèse avorté n’en est pas une : la photographie est bien une saloperie extractiviste née du capitalisme le plus violent l’égard de nos semblables et de notre environnement ; et ensuite que ce n’est pas une raison pour s’en passer. D’abord parce que l’humain ne peut se passer d’images. J’imagine que la philosophie a des théories sur cette question, et que sans image nous ne pourrions plus honorer les morts, donc plus de mémoire, donc une forme d’éternité, donc d’inhumanité ; et ensuite parce que les autres beaux-arts ne valent pas mieux : peinture, sculpture, littérature : tous nos outils viennent du sol. Taillé la haie de l’entrée, côtés rue et jardin, au sécateur et à l’outil électrique des parents. Ça se fait, par ici, manifestement. Une benne complète de 504.
28 octobre
Réveillé à sept heures moins quart, levé un peu plus tard. Café, feu, puis en ville pour rechercher les tronçonneuses que j’avais déposées avant le week-end, mais dont le technicien n’avait pas eu le temps de s’occuper. Vingt kilomètres pour rien. Il m’avait pourtant dit que ce serait fait jeudi après-midi. Que ne téléphoné-je systématiquement avant ce genre de déplacement. Appris sur le site de VU’ qu’une exposition des collections de la Fnac, avec une curation de Quentin Bajac, se tient bientôt. Je n’y suis pas, malgré deux tirages dans ces collections. Que Quentin Bajac eût sélectionné l’une de mes deux images, cela ne m’aurait pas mis mal à l’aise ! Les retombées du travail fourni sont toujours en dessous de ce que j’espère. Peut-être est-ce parce que je suis prétentieux. Mais peut-être est-ce parce que je suis impatient. Olga le saura peut-être. Passé à la mairie, m’étant souvenu que la secrétaire avait à notre arrivée parlé d’un terrain où il était possible de déposer des végétaux. Elle a fait appeler Bernard, l’employé communal, pour qu’il m’explique où s’étend ce terrain. Lui, heureux que je sois venu m’enquérir des possibilités d’y accéder, car il semblerait que bien des villageois ne se gênent pas pour y aller sans prévenir déverser leurs frondaisons à l’envi. Une heure de visio-conférence pour l’atelier d’écriture de VU’ ensuite, avec un des rares hommes de toute cette aventure, venu là par un autre. Puis écriture pour Marin. Entre deux textes, parti benner le contenu de la 504 sur le terrain communal. Ce sont quatre kilomètres aller-retour au lieu de vingt-cinq. C’est toujours tant de carbone de gagné en trajet. Cela me semble plus cohérent. Lu dans Le Monde que les hérissons étaient menacés. J’en pleurerais. Celui qui habite ici – ou un de ceux, j’espère –, voilà des jours que je ne l’ai pas vu, pas depuis le retour de Dinard. Je suis sorti lui parler dans la nuit, lui dire que nous avons ici toutes les limaces et les vers qu’il veut, nul pesticide, du moins pas épandu par nous sans présumer de ce que ce sol contient, et qu’il est prié de rester, de procréer, et de demander ce qu’on peut faire pour lui et les siens. Deux ans vivent ces êtres en moyenne. Les dames ont le temps d’une ou deux portées de quatre ou cinq petits, puis disparaissent. Ceci de nouveau : ayant trouvé jadis les fichiers audio du livre de népalais de Michael Hutt et Abhi Subedi, les ayant mis sur mon téléphone, j’écoute les leçons en conduisant l’automobile jusqu’en ville !
Grand-Fayt – Avesnes-sur-Helpe (motoculture, station service) – Grand-Fayt, 25 km en automobile, 2,275 kg de CO2.
Grand-Fayt (jusqu’au champ de dépôt végétal communal et retour), 3,8 km en camion diesel, 0,775 kg de CO2.
29 octobre
Levé à sept heures. Feu, café. Matinée en vidéo-conférence pour VU’. Vidéo-conférence encore à dix-sept heures, mais qui tourne court car mon élève n’a pas de connexion correcte. Nous reportons à demain. Guitare à la place.
30 octobre
Réveillé à sept heures moins quart. Feu, café. Matinée en vidéo-conférence pour VU’. Courses en ville après le déjeuner. Ramené mes tronçonneuses, reparties pour quelques temps de bons services. Vidéo-conférence encore à quinze heures trente. Puis enfin, à dix-sept heures, un moment pour moi, mais en vidéo-conférence encore : une heure avec Olivier Jeannin à Berne, moi demandeur d’une initiation au collodion, mais tentant aussi de l’embarquer dans l’aventure autochrome. Je sais qu’il est bon chimiste et excellent technicien. Tout en parlant, commencé à me dire que ce serait possible. Olivier très enthousiaste. On se connaît mal. C’est Caroline Recher, avec qui je suis resté en lien depuis le temps de l’Élysée à Lausanne, qui nous a présentés. Mais j’apprécie son énergie d’être humain. Je serais heureux de construire quelque chose ensemble. J’irai à Berne en janvier, après avoir visité Laurence. Après notre discussion, envoyé à Olivier des liens vers le manuel de John Hilty et vers le site de Frédéric Mocellin, qu’il faudra contacter sans doute. Le lien pour acquérir le livre de Bernard Lavédrine aussi. Cette affaire prend forme.
Grand-Fayt – Avesnes-sur-Helpe (supermarché, motoculture, magasin d’alimentation) – Grand-Fayt, 25,1 km en automobile, 2,284 kg de CO2.
31 octobre
Commencé à lire sérieusement le livre sur les autochromes Lumière de Bertrand Lavédrine. Puis entre les demandes de toutes parts et les obligations, je n’ai retrouvé un moment pour moi que vers dix-huit heures trente, où il était temps de préparer le souper. Tombé sur les nouvelles sur le site du Monde, à propos de ces inondations en Espagne, meurtrières. L’institut météorologique du pays signale les records de précipitations. Comme dans la vallée de la Vesdre en Belgique en 2021, comme à Saint-Christophe il y a peu dans l’Oisans, comme chaque fois, quel ministre va prendre la parole publiquement pour assumer : nous sommes responsables, car tous nos choix politiques, en matière d’industrie, d’urbanisme, de transports, d’agriculture, de gestion des communs, tout a précipité ces morts. Nous sommes coupables. Lequel ? Demain, on continue, comme si de rien n’était.
1er novembre
Réveillé vers trois heures. Des mathématiques en boucle dans ma tête jusque vers six heures. Mal dormi jusque sept. Feux, café. Matinée en vidéo-conférence dès neuf heures. Après le déjeuner, longue conversation avec Émeline sur l’errance, Anders Petersen, Michael Ackerman, Antoine d’Agata, et pourquoi cela se termine toujours par des photographies de filles nues et de chats au flash.
2 novembre
Mieux dormi. Feux, café. Ce matin, séance de l’atelier d’écriture consacrée à la littérature sur la photographie. Patricia et Mathias se joignent au public de la vidéo-conférence. Heureux de présenter cette sélection de textes devant eux, à qui j’en ai souvent parlé mais n’ont jamais entendu ce que j’avais à en dire. Beaucoup de népalais l’après-midi. Relu les leçons du livre de Michael Hutt et Abhi Subedi écoutées en voiture ces derniers jours, pour étudier les termes que je n’avais pas compris.
3 novembre
Levé à sept heures. Café, Kantipur. Préparé mes bagages pour demain, départ vers Paris Photo. Pas trouvé de temps pour moi. Le soir chez les parents de Marie. Journées peu sereines, encombrées par la tension que fait monter cet événement photographique.
Grand-Fayt – Lez-fontaine – Grand-Fayt, 47,4 km en automobile, 4,314 kg de CO2.
4 novembre
Levé à cinq heures trente. Feu tout de même parce qu’il fait froid déjà. Café. Derniers préparatifs oubliés hier. Train de six heures cinquante-quatre. Arrivée à neuf heures moins quart. C’est parti pour quatre jours parisien, et plus précisément dans l’enclave de Paris Photo au sein de l’enclave du Grand Palais, rouvert après quatre ans de restauration. Déchargé le camion avec Denis Dailleux, monté des étagères, fixé des tablettes au mur. J’ai bien fait d’amener ma visseuse et mes outils, et de demander à Marie son laser. Denis n’est pas bricoleur, de son propre aveu, mais il m’aide volontiers, c’est un moment agréable. Nous ne parlons jamais beaucoup de photographie. C’est pourtant grâce à lui que je suis à VU’. En voyant toutes ces galeries serrées les unes contre les autres au rez-de-chaussée, sans respiration, comme un alignement de rayons dans un centre commercial, je pense à cette commande du Cnap intitulée « Réinventer la photographie ». Outre que je n’ai toujours pas décidé si j’y présentais une idée ou non, ce supermarché me fait dire que la question du Cnap est purement rhétorique. Il n’y a rien à réinventer. Le marché a pris le pouvoir depuis longtemps. Marin au téléphone dans l’après-midi. Il a reçu la préface de Cynthia Fleury pour son livre. Quitté ce lieu peu avant dix-huit heures pour aller chercher la clef de la péniche de la fille de Laurence, où je vais m’isoler de la frénésie.
Grand-Fayt – Aulnoye-Aymeries – Grand-Fayt, 24,4 km en automobile, 2,220 kg de CO2.
Aulnoye-Aymeries – Paris-Nord, 217 km en train, 5,500 kg de CO2.
Paris-Nord – Grand Palais, 4,1 km en taxi hybride rechargeable, 0,090 kg de CO2 2.
Champs Élysées-Clémenceau – Joinville-le-Pont, distance inconnue, métro et RER, 0,121 kg de CO2.
5 novembre
Réveillé à six heures quarante-cinq. À Paris photo vers quinze heures. En chemin, nez-à-nez avec Jim Jarmusch. Le temps que je m’en rende compte, il était à vingt mètres derrière moi, je n’ai pas couru pour lui dire un mot de remerciement pour Down By Law, Ghost Dog et Dead Man. De retour à Paris Photo, dans notre frigo vide et surdimensionné, à l’écart de l’activité, tenté d’écrire un peu, mais en vain. Parlé avec Kevin Messina, éditeur chez Twin Palms, qui se souvient que j’avais envoyé chez eux une traduction française du texte de Mike Brodie pour A Period of Juvenile Prosperity. Le photographe sera là demain, et en signature publique vendredi. Retrouvailles avec Sylvain Besson, que je n’avais plus vu en face à face depuis la réalisation du film avec Valérie Cuzol en 2018 à Chalon, et à qui j’ai remis le contrat de la donation de mon fonds photographique au musée Niépce. Rentré tard à la péniche.
Joinville-le-Pont – Nation – Champs Élysées-Clémenceau – Joinville-le-Pont, distance inconnue, métro et RER, 0,242 kg de CO2.
6 novembre
À dix heures, visité Laszlo Sass, professeur dans une école d’image au quai de Jemappes, qui me vend des films périmés pour un prix raisonnable. Un homme plein de prévenance, de désir de parole, et de souvenirs d’avant l’avènement de la photographie numérique. Retour à Paris Photo vers treize heures. Longue après-midi jusqu’au vernissage, avec comme chaque année ses désagréments, certains récurrents, d’autre novateurs. Mais une belle rencontre au moins : Raphaël Neal, délicieux, charmeur, brillant, joyeux, des retrouvailles familières : Léo Doriano, qui me donne bien longuement de ses nouvelles, Bertrand Meunier en visiteur détendu, Patrick Codomier et Mathias… Et une rencontre inclassable : Stéphane Duroy, dans les parages car son Photo Poche est à l’honneur sur le stand d’en face. Semblant me reconnaître, il s’approche et me demande si on se connaît. J’ai répondu : « tu m’énerves, Stéphane, tu me fais le coup à chaque fois, alors qu’on s’est parlé il y a quinze jours à l’agence ! ». Il rigole. Certes ce n’étaient que quelques minutes entre deux portes, mais tout de même. On parle mieux cette fois, plus lentement. Il ouvre Népal. Il le feuillette cinq, dix minutes. Voilà plusieurs années que je ne l’avais plus ouvert. Je ne m’y sens pas toujours très à l’aise. Il me demande s’il peut dire des choses. Tant qu’à faire. Il commence alors à pointer les photographies où, selon lui, je suis chez moi, et celles où je suis encore ailleurs. Il loue, plusieurs fois, l’honnêteté à l’œuvre dans Népal, qu’il trouve pédagogiquement remarquable car j’y expose le chemin qui, à travers mes influences m’a mené jusqu’à moi (de son point de vue, pas encore complètement), avec ses forces et (de son point de vue, surtout) ses faiblesses. Lui ne peut mener une telle démarche : il détruit tout ce qui n’est plus juste à ses yeux. Il me dit aussi une méchanceté : que je me revendique élève de Lise n’est pas gratifiant pour elle. Je ne sais ce que je dois faire d’une telle parole. Oublié d’aller voir Mike Brodie sur le stand de Twin Palms, que j’aurais volontiers remercié pour son texte.
Joinville-le-Pont – République – Champs Élysées-Clémenceau – place de Clichy – Joinville-le-Pont, distance inconnue, RER A et métro lignes 9, 8, et 1, 0,082 + 0,017 + 0,008 + 0,129 = 0,236 kg de CO2.
7 novembre
À VU’ pour l’atelier d’écriture. À Paris Photo vers quinze heures. Vers seize heures l’affluence commence à croître sérieusement. Difficile d’évoluer sans cogner personne. La fille de Roger Schall signe le livre consacré à l’œuvre de son père et en face, chez Actes Sud, Dolorès Marat, son Photo Poche. Géraldine Lay, l’éditrice de la maison, me demande qui je suis. Nous parlons un peu. D’elle aussi. Je ne sais pourquoi j’étais persuadé avoir vu son nom dans un des volumes de + Photographie. Ce n’est pas le cas. Conversation agréable. Elle met son interlocuteur à l’aise. Fanny sudre, Fabienne et Pierre-Jean Amar ont Solange Brihat au téléphone. Denis va mal, il est tombé, s’est fait opérer et décline. Il va falloir se préparer au pire. Signé un exemplaire de L’Usure du monde apporté par un Néerlandais qui collectionne tous les ouvrages présentés dans le livre Photobook belge. Parti à dix-huit heures, gros sac sur le dos, un sac en tissu plein de livres, mes deux boîtes à outils, ma sacoche. Ainsi équipé, entrer dans le métro à cette heure est une épreuve. Des milliers de personnes compressées. Mais personne ne me reproche mon encombrement. Le RER jusqu’à la gare du Nord est plus aéré. J’y suis à temps pour le train. Dans le compartiment, de jeunes banquiers parlent à haute voix un langage que je ne comprends pas. Olga m’attend à Aulnoye-Aymeries. Envoyé un petit mot à Solange, tard, pour transmettre mes pensées.
Joinville-le-Pont – Champs Élysées-Clémenceau – gare du Nord, distance inconnue, RER A et E, 0,121 + 0,026 = 0,147 kg de CO2.
Paris-Nord – Aulnoye-Aymeries, 217 km en train, 5,500 kg de CO2.
Grand-Fayt – Aulnoye-Aymeries – Grand-Fayt, 24,4 km en automobile, 2,220 kg de CO2.
8 novembre
Cinquante-deux ans. Levé tardif. Café, feu. Pas le temps de lire un article en népalais. Deux vidéo-conférence pour l’atelier d’écriture de VU’. Fini à midi et demi. Changement d’énergie ensuite jusqu’au soir avec Marie et Olga. Solange Brihat au téléphone. Elle me propose de venir passer une soirée à la maison. J’irai samedi prochain en rentrant de la conférence que je donne à Saint-Vaast-lès-Mello.
Grand-Fayt – Maroilles – Grand-Fayt, 10,3 km en automobile, 0,937 kg de CO2.
9 novembre
Réveillé vers sept heures mois quart. Redormi jusque huit. Café. Puis à Maroilles à vélo avec Olga pour rapporter des croissants. Journée calme. Guitare. Promenade le long de la Sambre depuis l’écluse de Hachette vers l’aval. Au bout de quelques kilomètres, restés à observer des rats musqués nombreux qui s’affairaient dans l’eau et sur la berge.
Grand-Fayt – écluse de Hachette à Maroilles – Grand-Fayt, 20,2 km en automobile, 1,838 kg de CO2.
10 novembre
Réveillé à sept heures. Café et Kantipur au lit puis en cuisine. Les parents, ma sœur et son fils viennent déjeuner à midi. Arrêté ma contribution libre au Guardian, agacé qu’elle ait été augmentée automatiquement, sans possibilité de revenir au montant que j’avais choisi d’affecter à cette participation. Le soir, épuisé.
11 novembre
Réveillé à six heures et demie. Café et Kantipur. Un élève en vidéo-conférence ce matin pour l’atelier d’écriture. Un courriel d’Olivier Jeannin, qui confirme qu’il commencera par m’initier au collodion, car ayant lu John Hilty, il est d’avis que les autochromes ne se feront pas en un weekend ! Le soir, avant la tombée de la nuit, photographié des enchevêtrements de lianes de potirons.
12 novembre
Levé à six heures et demi. Café. Départ pour Lille à sept heures et demie. Autour d’Orchies trafic à l’arrêt, comme chaque fois je suis tétanisé par l’absurdité de ces congestions d’automobiles, et par moi pris dedans. Arrivée dix minutes avant le départ du bus d’Olga pour La Haye alors que nous avions pris une heure d’avance. Chez l’homéopathe ensuite. Déjeuné à Valenciennes sur le chemin du retour.
Grand-Fayt – Lille – Croix – Valenciennes – Grand-Fayt, 196 km en automobile, 17,836 kg de CO2.
13 novembre
Levé à sept heures. Brièvement dans le Kantipur. Journée de vidéo-conférences pour VU’. Pris une demi-heure pour déjointoyer des murs de briques pour que les parents de Marie puissent les rejointoyer s’ils passent en mon absence. Cuisiné des choux raves et des pommes de terre du jardin. Au quotidien, nous n’achetons plus qu’ail et oignons, pommes et poires en attendant que les arbres donnent, et de plus en plus rarement des bananes.
14 novembre
Levé à sept heures moins quart. Café. Jusqu’à huit heures, recherche d’images pour accompagner ma conférence de demain à Saint-Vaast-lès-Mello, puis vidéo-conférence pour l’atelier d’écriture qui se termine demain. Parti vers midi moins quart pour la Maison de la culture d’Amiens. Paul Leroux m’avait annoncé une conférence rassemblant les directrices et directeurs de cinq centres photographie de la Région. Sont effectivement présents lui-même et Audrey Hoareau, que j’ai déjà rencontrés, Fred Boucher de Diaphane que j’avais rencontré il y a longtemps à Chalon-sur-Saône, Anne Lacoste de l’Institut de Lille et Horric Lingenheld de Destin sensible à Mons-en-Barrœul. Paul voulait me les présenter. Pas eu le temps. Il s’agissait en réalité de donner la parole à cinq photographes ayant participé à la Grande Commande de la Bibliothèque nationale en 2022 et subséquemment invitées à exposer le travail réalisé avec cette aide dans chacun des cinq centres. La table ronde s’est transformée en seule-en-scène incontrôlable d’une des participantes, sous le regard médusé des cinq directrices et directeurs. Dû partir avant la fin. Rentré juste à temps pour transmettre l’automobile à Marie. Je n’avais plus perdu sept heures de ma vie d’une manière aussi navrante depuis longtemps. Préparé mes bagages et avancé sur la conférence de demain.
Grand-Fayt – Amiens – Grand-Fayt, 278 km en automobile, 25,298 kg de CO2.
15 novembre
Réveillé à trois heures. Levé à six. Feu, café. Fini de préparer mes bagages. À la gare à huit heures moins quart. À VU’ un peu après dix heures pour le début de la dernière séance de l’atelier de cet automne. Belle énergie, beaux textes, beau groupe et beaux retours. À Creil à seize heures dix. Mon oncle Jean-Louis m’attend, qui est à l’origine de la conférence que je donne ce soir. Ma tante nous attend à la maison. Voilà bien des années que nous ne nous étions vus. À la médiathèque de Saint-Vaast, rencontré Nicolas, le bibliothécaire qui a acquiescé à la proposition de Jean-Louis et choisi le thème de la rencontre – le rapatriement de mon travail au jardin –, parmi différentes possibilités évoquées. Trente personnes sont venues. Attentives, délicates, chargées de questions. Je parle une heure et quart, depuis Reinhold Messner jusqu’au jardin avesnois en passant par le « Point de vue du Gras », cent cinquante images rythmant mon récit. Une libraire est venue de Chantilly avec Népal, Brumes, La grande Route, Au Désert, Le Simulacre, Lit… Un pot est organisé ensuite. Le bibliothécaire est content. La libraire a tout de même vendu une dizaine de livres. Un photographe est là, Olivier, qui élude la question de son nom de famille, mais il connaît bien les techniques anciennes, leurs praticiens, qui a lui même essayé le mordançage, connaît bien les œuvres de Denis Brihat et Jean-Pierre Sudre, et me cite de noms de personnes proches de lui que je connais, comme Nico Foss, l’encadreur dont Denis Brihat chérit le travail, ou Thomas Doubliez, ancien camarade de chez VU’. Il a demandé publiquement si ma série au jardin ne me faisait pas courir le risque de la misanthropie. Je ne sais plus ce que j’ai répondu. En privé il m’a dit avoir ressenti, à travers ma présentation, que la série avec l’appareil en plastique représente un moment de liberté artistique et humaine dans ce cheminement photographique. À ces mots je ressens encore plus la nostalgie de ces deux années pré-séisme. Je me dis parfois qu’il faudrait que je me mette à marcher dans le village, jusqu’à Maroilles et au-delà, à photographier ce qui me fait signe, comme autrefois le Népal, avec les films périmés achetés à Laszlo l’autre jour. Et puis peut-être, des portraits des habitants, un jour. Mais au Népal, le réel entier me faisait signe. Ici j’ai du mal à rien voir.
Grand-Fayt – Aulnoye-Aymeries – Grand-Fayt, 24,4 km en automobile, 2,220 kg de CO2.
Aulnoye-Aymeries – Paris-Nord, 217 km en train, 5,500 kg de CO2.
Paris-Nord – Creil, 60 km en train Transilien, 0,700 kg de CO2.
16 novembre
Levé à sept heures. Déjeuné tous les trois, à boire du café coulé au percolateur, manger des tartines de formage en tranche et réveiller des souvenirs. Creil à neuf heures moins quart. Paris à la demie. Gare de Lyon peu après. En route vers Avignon. L’homme d’hier m’a écrit un courriel. Il s’appelle Olivier Marchesi. Il fait de fort belles choses. Il organise des stages de tirage au révélateur Lith. Je serais bien inspiré de m’inscrire, pour voir. Bus vers Bonnieux. Revoir les paysages d’ici, irradiant mille souvenirs, est triste et beau. Solange Brihat m’attend à l’arrêt, c’est émouvant d’être là. Nous n’irons pas voir Denis, qui ne va pas mieux. Mais nous parlons au milieu des photographies, dans la grande pièce. C’est la première fois que nous parlons seuls tous les deux aussi longtemps, de Denis et son œuvre, d’elle et son implication dans sa diffusion, de la famille, des souvenirs, des donations et expositions à venir. Les sables, que j’avais vus à Retour de voyage, la galerie de Frédéric Dol à l’Isle-sur-Sorgue, vont être donnés à la Maison européenne de la photographie. Une exposition va avoir lieu à Bruxelles en janvier. Une autre, à nouveau à Retour de Voyage, avec des images noir et blanc assez anciennes, dont plusieurs folles avoines gracieuses et pleines de sérénité. Solange m’emmène à ma chambre, sur la mezzanine au-dessus de l’atelier de Denis, parmi les livres et les archives. Denis à l’hôpital, moi dormant ici, c’est bouleversant. Redescendus avec Douze Paysages matériographiques de Jean-Pierre Sudre, l’exemplaire numéroté 30/30 offert à Denis par Jean-Pierre en 1975, portfolio que nous feuilletons avec un mélange de révérence et de familiarité, comme un livre précieux mais à la fois quotidien – précieux comme un bon disque. Solange ne prend pas de gants, de la boîte un peu abîmée elle ne s’offusque pas, me laisse tourner les planches sans m’inciter à aucune précaution particulière. Ce n’est pas un objet sacré, c’est un objet devant lequel la délicatesse va de soi. Rarement tout de même ai-je eu la chance de contempler à mon rythme des photographies aussi mystérieuses, aussi puissantes à émouvoir l’imaginaire, aussi méticuleuses dans leur facture, aussi généreuses dans leur matière… Fanny, la fille de Claudine et Jean-Pierre Sudre, arrive vers cinq heures. Les conversations reprennent à trois, puis à deux, Solange partant en cuisine pour nous et une amie qui nous rejoindra tout à l’heure. Fanny me raconte leur parcours dans la photographie, à elle et son mari Jean Bernard, tissé de savoir-faire et d’humilité, d’épreuves et d’opiniâtreté. Recevoir cette histoire me remplit de justesse. J’aime cette bande de copains, leur vision de la photographie et ce qu’ils en ont laissé à leurs enfants. Revient ce désir, né à la lecture de Jean Deilhes, de raconter ce que ce médium doit à Jean-Pierre Sudre et Denis Brihat au plan pédagogique : de raconter la naissance des humanités de la photographie. Elle n’est écrite nulle part. C’est une belle soirée. Être là est, j’allais écrire un privilège mais, depuis une certaine discussion avec Jean-Robert Dantou, j’essaie d’éviter ce mot. Alors être là, puisque c’était souhaité par Solange, possible malgré les apparences – coût, distance, temps –, est indiscutablement juste, nécessaire, agréable, constructif, apaisant. Et le coût, la distance et le temps sont certes des paramètres qui influencent mes choix de déplacements ou au contraire de sédentarité, mon désir de départiciper ou de poursuivre, mais qui ce soir me semblent négligeables. Je n’aurais pas voulu être ailleurs. Pu dire à Solange des choses importantes. Avant de dormir, au milieu des livres de Denis, au-dessus de son studio, parcouru avec Fanny ses quelques remarques sur la version du texte pour le livre sur la photographie industrielle de son papa, issue de mon travail avec Jean Deilhes. Fanny, elle, dort dans la chambre de Denis.
Creil – Paris-Nord, 60 km en train Transilien, 0,700 kg de CO2.
Paris-Nord – Paris-Gare-de-Lyon, distance inconnue, RER D, 0,047 kg de CO2.
Paris-Gare-de-Lyon – Avignon TGV, 690 km en train à grande vitesse, 2,001 kg de CO2.
Avignon TGV – Bonnieux-Pont-Julien, 46,8 km en car, 1,615 kg de CO2.
Bonnieux-Pont-Julien – Bonnieux-traverse des Blayons, 7,3 km en automobile, 1,153 kg de CO2 3.
17 novembre
Réveillé à six heures au milieu de la bibliothèque et des archives de Denis. Tous ces livres de photographie m’ont peut-être fait peur hier soir, car je me suis endormi après n’avoir regardé qu’un catalogue raisonné des estampes d’Henri Michaux, édité en Suisse. Ce matin dans cet espace, triste de devoir en partir. Je voudrais y passer la journée, des journées entières. Je pense à la maison de Nigel Stoneley, l’ami de Kevin Ayers, Didier Malherbes et Robert Wyatt à Montaulieu, maison que ses filleules m’avaient demandé d’inventorier après son décès. Denis n’est pas mort. Nous aimerions qu’il vive mais lui aimerait partir, à nonante-six ans. Il me sera peut-être donné de photographier ce lieu à son départ. Ce serait important, pour l’histoire du médium, que cet état de choses soit, au moins photographiquement, magnifié. Fanny et Solange sont déjà au café quand je descends vers sept heure et quart. Expliqué à Fanny la part pédagogique de mon métier, les ateliers d’écriture, tout cela. Comme j’ignorais tout de la carrière de Fanny et Jean Bernard, elle ignorait tout de la mienne. Ignorance ici résorbée, en la maison de Solange et Denis. Nous saluons Fanny qui rentre à Aix. Solange me conduit à la gare d’Avignon TGV. Brouillard profond, impénétrable. J’ai parfois l’impression, avec Solange, de lui imposer de m’aimer au seul prétexte que l’œuvre de son mari m’a bouleversé. Senti pourtant que la visite d’un gamin comme moi – visite honnête, je puis le dire, gamin n’attendant rien –, lui faisait du bien. Ce n’est d’ailleurs pas que l’œuvre de son mari qui m’a bouleversé. Elle-même a puissamment quelque chose d’Éliane Bouvier. À Paris à midi vingt. Le train de Maubeuge est à cinq heures quart. En attendant, vu l’exposition sur les plantes à la Maison européenne de la photographie. Qu’elle n’inclue pas une image de Denis Brihat me semble une erreur expographique, surtout ce matin. C’est une réalité que je retiens de nos discussions avec Solange et Fanny : leurs hommes ne sont pas reconnus. Le Moma en 1967 n’a rien déclenché. Les rencontres d’Arles, qu’ils ont créées, les nient. Ils ont fondé les humanités de la photographie, ils ont inventé la photographie d’art non reproductible, mais ils ne sont nulle part dans l’histoire. Presque personne ne les connaît. Vu de belles œuvres dans cette exposition, mais avec un côté catalogue de curiosités, manquant d’éditorialisation. Et manquant surtout de l’engagement alarmiste et critique nécessaire. Un degré et demi, c’est cette année. Or nous sommes incités à regarder tout cela comme des œuvres plutôt que comme des symptômes. Pour faire bonne mesure, parti au Musée d’art moderne de la ville de Paris voir l’exposition sur la façon dont l’art a appréhendé la bombe atomique et l’âge nucléaire. Revu là le sidérant film Crossroads, de Bruce Conner, artiste que j’avais découvert dans une émission radiophonique sur The Rose, de Jay diFeo. Beaucoup de documents historiques et scientifiques. Gare du Nord. Départ du train retardé, retard annoncé à la minute du départ initial, train « gonflé comme une outre », aurait dit Éliane, citant son mari. Des dizaines de gens debout. « Pas de conducteur », osent-ils et, en conséquence, une demi-heure de retard. Ils la tiennent. Le train part et arrive à chaque gare grevé de cette demi-heure. Lu le Kantipur dans le train. Marie m’attend à Aulnoye-Aymeries, et à la maison avec un repas. Un mois semble s’être écoulé.
Bonnieux-traverse des Blayons – Avignon TGV, 50,6 km en automobile, 7,999 kg de CO2.
Avignon TGV – Paris-Gare-de-Lyon, 690 km en train à grande vitesse, 2,001 kg de CO2.
Paris-Gare-de-Lyon – Saint-Paul – Georges V – Gare du Nord, distance inconnue, métro lignes 1 et 12 et RER E, 0,006 + 0,019 + 0,033 = 0,058 kg de CO2.
Paris-Nord – Aulnoye-Aymeries, 217 km en train, 5,500 kg de CO2.
Grand-Fayt – Aulnoye-Aymeries – Grand-Fayt, 24,4 km en automobile, 2,220 kg de CO2.
18 novembre
Levé à sept heures. Reçu un message de Solange, confirmant son bon retour à la maison malgré le brouillard ce qui me soulage, mais tempérant l’amélioration de la santé de Denis. Des vidéo-conférences encore, dès le matin. Isabelle Detournay pour finir le travail d’écriture entamé depuis quelques semaines, puis une élève du dernier atelier qui entend dès à présent profiter de mon heure offerte de ce que je nomme mon « service après vente ». Rangé documents et bagages rapportés de ce « mois » d’absence. Pluie triste frappant aux fenêtres. Commencé le travail pour le sixième volume de +Photographie, le catalogue des acquisitions photographiques des institutions publiques. Travaillé pour Marin.
19 novembre
Réveillé à six heures vingt. Levé à sept. Journée technique. Café et petit déjeuner par cœur. Répondu à des engagements techniques, assumé des obligations administratives pour la rénovation de la ferme, pris des billets trains pour rentrer ici depuis chez Olivier Jeannin à Berne après mon séjour chez Laurence en janvier, pour et depuis Die en février et mars pour le dentiste. Autrefois on passait dix minutes chez Annie Millischer place de la Libération, et le lendemain tout était réglé. Maintenant, réserver trois billets de train prend une heure entière de mon temps, avec toutes sortes de mots de passe et de codes de validation à entrer dans des champs. Le nouveau disque de Louis, Unfolding, avec Benjamin Moussay au piano, est arrivé au courrier. Au lit avant d’avoir compris à quoi est passée la journée.
20 novembre
Levé à sept heures moins quart. Feu, café. Journée hachée jusqu’au soir, à tenter péniblement d’arriver au bout d’une même tâche. Dans la nuit déjà tombée, il n’était pourtant que six heures, sorti couper des choux de Bruxelles au jardin pour le repas de ce soir, et Marie descendue à la cave chercher des pommes de terre. C’était un objectif de ce déménagement : manger nos légumes. Il est généreusement atteint. Une demi-heure de guitare. Seul moment de liberté. Pas même de Kantipur ce matin.
Grand-Fayt – Avesnes-sur-Helpe (magasin d’alimentation, essence, Médiathèque) – Grand-Fayt, 25,6 km en automobile, 2,330 kg de CO2.
21 novembre
Levé à sept heures moins quart. Feu, café. Regardé hier soir Jinpa, de Pema Tseden, sur Arte. De beaux paysages, une histoire où il ne se passe rien plutôt bien menée, mais une esthétique exagérément travaillée, des couleurs dessaturées à l’excès, un contraste rendant les images presque huileuses par moments… Mais que de souvenirs ! La route de Kashgar à Lhassa en camion, 1999… À l’époque, « si je me souviens bien, ma vie était un festin… ». Une vidéo-conférence à neuf heures avec un participant du mentorat. Reste de la journée, écrit pour Marin. Une heure pour moi toutefois, entre quinze et seize : parti à la scierie de Landrecies acheter le bois pour pour rajouter un étage à mon armoire à disques.
Grand-Fayt – Landrecies (magasin de bois) – Grand-Fayt, 14,8 km en automobile, 1,347 kg de CO2.
22 novembre
Levé à sept heures quart. Feu, café. Pas de Kantipur. Attaqué le travail pour Marin dès le matin. Passé ma journée avec la mort, la douleur, la souffrance, le sens du devoir et l’inconditionnalité du soin.
23 novembre
Réveillé à cinq heures et demie. Levé à six heures dix. Feu, café, Bade Ghulam Ali Khan. Attaqué aussitôt la dernière série des entretiens de Marin. Journée passée. Le dehors me manque. Marie a modifié l’intérieur de l’appareil en plastique parce que l’intissé utilisé dans la modification précédente était blanc, et j’ai pensé quoi qu’un peu tard que ce pouvait induire des reflets. Maintenant c’est noir et mat. Je voudrais aller faire le tour du village avec cet appareil et un film acheté à Laszlo l’autre jour. Solange Brihat au téléphone. Elle est seule à la maison. Denis ne parle presque plus. Le médecin dit que c’est la fin. Un peu de guitare enfin ce soir. Une demi-heure arrachée de haute lutte à moi-même. Pénible, cette incapacité à me détendre si les tâches obligatoires ne sont pas finies.
24 novembre
Un dimanche de vie. Abjuré tout obligation. En cuisine dès huit heures. Olivier et Isabelle seront à notre table à midi pour la première fois depuis sinon vingt, au moins quinze ans. Je me sens comme Pacôme Hégessippe Adélard Ladislas de Champignac quand il rencontre Itoh Kata : « De la dignité, Pacôme ! un tel mycologue ne se rencontre pas tous les jours ! » (Évangile d’André Franquin selon Jean-Claude Fournier, chapitre XXI, 1970). De la dignité Lecloux ! De tels amis ne sont pas chez toi tous les jours ! Et pas n’importe quels amis, ceux qui te nourrissaient en 1993, quand tu n’avais pas un centime en poche, tu pouvais débarquer place Jourdan à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit, tu recevais un repas et de l’attention. Puis la Drôme s’est avérée loin, le lien a pâli, mais a tenu. La place Jourdan, c’était hier.
25 novembre
Réveillé une première fois à six heures vingt. Rendormi. Réveillé à nouveau une heure plus tard et levé. Conduit la 2CV au garage du Bois Royal à Landrecies, pour le contrôle technique bisannuel, suivi par Marie qui me ramène. Marin puis +Photographie jusque dix-huit heures. Repris L’Obsolescence de l’homme, de Günther Anders.
Grand-Fayt – Cartignies (garage) – Grand-Fayt, 8,4 km en 2CV et 16,8 km en automobile, 1,410 + 1,523 = 2,933 kg de CO2.
26 novembre
Réveillé à six heures et demi. Café et Kantipur jusque huit heures. Un peu travaillé dehors avec Marie à nettoyer le potager. À dix heures, vidéo-conférence avec Fabienne. Après-midi sur +Photographie 6. Fabienne rappelle en fin de journée avec de mauvaises nouvelles de Denis Brihat.
27 novembre
Réveillé à sept heures. Feu, café. Courses en ville. Dernière vidéo-conférence avec Isabelle Detournay pour fignoler son texte sur son travail indien. L’après-midi, un peu bricolé, poncé les planches achetées l’autre jour. Pas fini. Écrit une présentation du livre sur la photographie industrielle de Jean-Pierre Sudre pour le Bec. Un peu de guitare le soir.
Grand-Fayt – Avesnes-sur-Helpe (magasin d’alimentation) – Grand-Fayt, 21,8 km en automobile, 1,983 kg de CO2.
28 novembre
Réveillé à cinq heures vingt. Levé à six heures quart. Entre les deux, tenté de recomposer des sonnets de La grande Route par tous les temps qui petit à petit m’échappent. Feu, café, Gurbachan Singh Sachdev. Attaqué de suite le travail. Au courrier postal, en recommandé, mon contrat de donation au musée Niépce signé par la mairie de Chalon et moi. S’ouvre une page blanche de vie. En fin d’après-midi, dans l’étable à poncer des planches pour parachever l’extension de mon armoire. À dix-huit heures l’armoire est pourvue de son annexe, remplie des disques qui étaient au grenier – jazz, soul et films. Période chargée, intense, pas calme, peu propice à la réflexion personnelle. Appelé Odile à Villemus.
29 novembre
Levé à sept heures moins quart. Feu, café, Gurbachan Singh Sachdev. Attaqué le travail d’écriture jusque dix-huit heures. Pris le temps de déjeuner. Marie chez ses parents. Journée solitaire. Mes propres questions toujours à distance. Sur pilote automatique, soignant mal mes passagers. Était-ce hier ou aujourd’hui que dans le demi-sommeil du matin tournaient les noms des mois du calendrier népalais, dont un ne voulait pas me revenir à la mémoire, et que j’ai recherché avec le café ? Je ne sais plus. Le mois, c’était भदौ, tel est le nom que j’ai appris à l’école, mais on trouve aussi भाद्रपद, y compris abrégé en भाद्र. C’est août-septembre. Bon. Et ainsi la journée est passée.
30 novembre
Réveillé à six heures moins quart. Levé une heure plus tard. Feu, café, Gurbachan Singh Sachdev. Quelques courriels. Puis en route vers Bruxelles, où Marie suit un stage. Et moi, visité Isabelle Detournay à Anderlecht. Rencontré Anand, son mari tamoul, qui m’avait cuisiné des bons pakora. Retrouvé Marie après son stage, et retour vers le sud d’ici qui est notre nord de Drômois. De plus en plus de mal à conduire dans le noir. Il faut que je m’abstienne. Posé Marie à une soirée de chorale à Aulnoye-Aymeries et rentré seul dans la maison froide. Elle reviendra avec ses camarades du village. Hier soir nous avons regardé un film documentaire de la VRT sur Chantal Akerman que Marie avait trouvé sur Arte, Chantal Akerman altijd onderweg. On y voit et entend des proches s’exprimer sur sa personnalité, sur son travail, sur leur collaboration, notamment Jan Decorte, qui joue Sylvain dans Jeanne Dielman, et a vieilli de façon émouvante. Eric de Kuyper aussi, qui a participé au scénario de plusieurs films. La présence de la langue flamande dans ce film, comme souvent, me touche. La plus bouleversante pour moi, pas Flamande quant à elle, est Claire Atherton, sa monteuse, qui a conçu l’exposition vue à Bruxelles au printemps et donnée actuellement au Jeu de paume, et qui a collaboré à la création de toutes ses installations, dont D’Est, que j’ai regardé trop vite à Bruxelles, et qu’il faudra revoir à Paris. Senti dans cette salle que je vivais un transport émotionnel et esthétique de la force de celui vécu à chaque plongée dans Jeanne Dielman, mais que je ne pouvais le vivre librement parce que notre temps était compté. Il faudrait rester dans cette salle au moins les cent sept minutes que dure D’Est. C’est mutatis mutandis aussi tremblant que le Crossroads de Bruce Conner. On y croise aussi une historienne du cinéma anversoise, Anke Brouwers, qui explique, vers la fin du documentaire, que l’œuvre d’Akerman parle souvent de déracinement, de thuisloosheid, du sentiment de n’avoir pas de maison – ik weet niet waar ik thuis hoor, ik zweef tussen twee werelden in. Et d’un seul coup, hier soir, au plan humain et artistique, je me suis rendu compte que c’est cela qui me secoue dans le cinéma de Chantal Akerman. Compris accessoirement que c’est ce que tous mes livres s’évertuent à raconter – une vaine recherche de l’endroit d’où l’on est –, ce que je n’avais jamais identifié. Ayant quitté Bruxelles pour la Drôme en avril 2001, j’ai su tôt que j’avais quitté toute appartenance à une terre et que nulle part ne sera jamais chez moi. Je l’ai souvent écrit. J’ai toujours pensé que je m’en accommoderais, ou plutôt, que ce n’était pas un sujet. Ce que j’ai ressenti en entendant cette femme parler de Chantal Akerman me ferait plutôt dire que c’est précisément le sujet : n’avoir cessé de chercher ce chez moi malgré la vanité de cette quête. Ce n’est pas dramatique. Ce n’est aggravé par aucune circonstance matérielle délétère. Mais c’est vertigineux. Rendre compte de ce vertige et de cette vanité est probablement le rôle que j’ai assigné à la photographie à de l’écriture. Il ne s’agit pas ici comme jadis au Qatar de réfléchir à la tragédie des populations dites de « migrants » fuyant les guerres et la misère organisées, mais simplement à ce qu’implique d’avoir renoncé de son plein gré, assez tôt, à vivre au pays natal, en la ville natale, au quartier natal (que faut-il dire ?). J’habiterais Enghien, comme ma sœur avec qui j’ai grandi à Schaerbeek, je n’en aurais pas moins le sentiment d’avoir abjuré toute foi en un « chez moi ». Là où j’ai été le plus proche d’un sentiment de maison, c’est aux Pilles, Drôme, entre 2001 et 2006, et comme des imbéciles nous en sommes partis. Sur la route de Nicolas Bouvier d’abord, mais avec cette certitude que la maison nous attendrait – elle l’a fait. Puis vers Nyons, qui n’a jamais été tout à fait une maison. Puis vers ici, qui pour moi ne l’a jamais été aussi peu. Mais d’où cela vient-il ? Faut-il le savoir pour avancer ? La place de Katmandou dans cette quête ? Les sonnets tournent beaucoup dans ma tête ces nuits-ci. Isabelle, la femme d’Olivier, suite à leur visite ici l’autre jour, est sans doute la première personne qui, sept ans après leur publication, m’ait dit ce que l’un d’eux lui provoquait, et qui était ce que j’avais voulu y mettre. Cela voudrait dire qu’il faut faire ce qu’il faut faire, sans jamais rien chercher à faire.
Grand-Fayt – Bruxelles (Saint-Gilles-Anderlecht-Saint-Gilles) – Grand-Fayt, 228 km en automobile, 20,748 kg de CO2.
1er décembre
Si je regarde les émissions de dioxyde de carbone du trajet d’hier ça fait le poids d’un sac de chaux, pas si aisé à soulever et à verser dans un seau. Réveillé à cinq heures vingt. Recomposé des sonnets jusque vers sept heures. Redormi un peu jusqu’à la demi, où je me suis levé. Feu, café, petit déjeuner avec Marie plus tard, qui est rentrée à une heure et demie de son repas de chorale, épuisée. Puis dehors pour la journée. Rabattu le second des deux frênes qui poussent devant l’entrée, rabattu encore davantage celui que j’avais étêté en octobre, les deux à un mètre cinquante de haut. Tronçonné les gros morceaux et mis en cageots du petit bois pour l’hiver prochain, mis de côté des perches bien droites qui serviront toujours bien, puis débité les vieux chevrons et fagots qui s’amoncelaient dans le cagibi de l’abri de jardin, pour avancer dans cet hiver-ci. Quand j’ai eu fini – on s’est arrêté pour déjeuner tout de même – il était seize heures et il pleuvait. Guitare jusqu’à l’heure de me mettre en cuisine. Et Mathias au téléphone. Dîné d’un ou deux des derniers choux raves, les autres Marie les a cuits en soupe.
2 décembre
Levé à sept heures. Feu, café. Répondu à des courriels en retard. Travaillé sur l’ordinateur jusqu’à dix-huit heures.
3 décembre
Mal dormi, réveillé à une heure puis à quatre, somnolé jusque six et levé. Feu et café. En route pour Paris jusque jeudi, de rendez-vous en rendez-vous. Il faut que je reprenne le fil de mon travail : photographies du jardin en hiver, photographies à l’Isolette de plans plus larges, et photographies du village avec l’appareil en plastique. Il faut aussi que je m’occupe d’honorer l’aide de l’Adagp et que je commence à « entrer en matière ». J’ai peur de perdre le fil. Je devrais recevoir des nouvelles de Dominique Jenvrey un de ces jours d’ailleurs. Si cette publication a lieu, cela relancerait mon attention sur cette création. Depuis le train, écrit à Patrice Dion, dont Olivier Marchesi m’a présenté le travail, pour aller m’initier chez lui à la photographie végétale. Parti vers la porte de Saint-Ouen chercher un écran acheté en occasion. En sortant du métro, Fabienne m’annonce au téléphone la mort de Denis Brihat. Une partie de moi est soulagée qu’il cesse de souffrir, l’autre est triste pour Solange et leurs enfants, triste d’imaginer qu’en entrant dans cette maison, il n’y aura plus son sourire malicieux, ses mots simples pour dire son obsession profonde. Et l’ensemble est effondré. Mais heureux qu’il y aura encore Solange, et que nous continuerons à apprendre à mieux nous connaître, à parler de Denis, et peut-être à faire des livres ensemble. Le soir, Raphaël Neal et Alice Zeniter parlent de Hollywood Nightmares. Fabienne arrive avec Évelyne Prawidlo, que je n’avais plus vue depuis longtemps et qui m’embrasse chaleureusement. Quitté VU’ un peu avant la fin de la rencontre pour rentrer chez ma cousine.
Grand-Fayt – Aulnoye-Aymeries – Grand-Fayt, 24,4 km en automobile, 2,220 kg de CO2.
Aulnoye-Aymeries – Paris-Nord, 217 km en train, 5,500 kg de CO2.
Paris Gare du Nord – Porte de Saint-Ouen – Trinité-d’Estienne d’Orves, distance inconnue, métro lignes 2, 13, 12, 0,013 + 0,09 = 0,022 kg de CO2.
Rue Saint-Lazare – Fontenay-sous-Bois, 14,9 km en taxi 4, 1,639 kg de CO2.
4 décembre
Levé à six heures et demie. À VU’ pour la deuxième rencontre collective de la cinquième édition du mentorat le matin, et discussions individuelles l’après-midi. Appris que l’agence allait déménager. Croisé Guillaume Herbaut avec qui nous parlons de l’évolution pédagogique de l’agence. Soirée urbaine puis retour chez ma cousine.
Mairie de Montreuil – Chaussée d’Antin-Lafayette, distance inconnue, métro ligne 9, 0,036 kg de CO2.
Chaussée d’Antin-Lafayette – Villejuif-Léo Lagrange, distance inconnue, métro ligne 7, 0,036 Kg de CO2.
Ivry – Fontenay-sous-Bois, 10,2 km en automobile 5, 1,081 kg de CO2.
5 décembre
Levé à sept heures quart. Chez Diamantino à dix heures. Lui et Joëlle, son administratrice, chaleureux, ainsi que les jeunes tireurs, fidèles au poste. Apporté des négatifs du Népal datant de septembre 2001, juste après le stage avec Lise, afin qu’il en tire des planches-contacts. Les diapositives prises alors ont constitué la matière de Katmandou 2058 mais ces sept pellicules négatives, à l’exception d’une image, plus aucune idée de ce qu’elles contiennent. Demandé aussi à Diamantino de bien vouloir m’accepter au laboratoire lorsqu’il tirera les images que je sélectionnerai, ce qu’il accepte, et qui me permettra de comprendre comment fonctionne ce processus couleur. Arrive Marjolaine Caron, la fille de Gilles Caron. Diamantino nous présente. Nous parlons du film de Mariana Otero vu a l’époque du confinement, sur lequel j’avais d’ailleurs écrit[6]. Quand je dis à Marjolaine le malaise ressenti au début du film, c’est elle qui d’emblée dit « le tutoiement ». On a donc déjà dû le lui dire plus d’une fois. J’avais d’autres raisons de n’aimer pas ce début qui me tenait à distance, et qu’elle semble intéressée d’entendre. Concernant les autochromes, Diamantino me propose de me présenter Hanako Murakami, dont je ne connais qu’une image, parue dans un des volumes du livre sur les acquisitions photographiques, mais qui a travaillé sur les autochromes. Vers le musée Guimet ensuite. Le métro : un bon endroit où lire le Kantipur. Quelques stations suffisent à débroussailler un article, aussi de Robespierre à Iéna ai-je eu le temps d’en comprendre un entier. Édouard de Saint-Ours m’accueille et m’emmène déjeuner. Parlé de sa thèse, qu’il a soutenue la semaine dernière en Écosse, sur la photographie dans les colonies d’Asie du Sud-Est, de Daniel Folliard avec qui il est ami et qu’il me présentera, d’un colloque à Cerisy sur la couleur dans la photographie auquel il a participé et dont les actes sont à paraître… En mars, quand la pression liée aux expositions à venir sera retombée, il me présentera les collections photographiques népalaises, notamment l’album de Gustave Le Bon et le Népal de Marc Riboud, dont il me parle longtemps et dont il apprécie le refus de représenter la violence. Il me présentera également son collègue, conservateur des collections de l’aire himalayennes, pour réfléchir ensemble à la possibilité d’inclure des œuvres d’art anciennes dans une telle exposition. Repassé à VU’ ensuite. Rentré à la gare en taxi, trop chargé pour marcher. Train vers Aulnoye-Aymeries.
Mairie de Montreuil – Robespierre, distance inconnue, métro ligne 9, 0,006 kg de CO2.
Robespierre – Iéna, distance inconnue, métro ligne 9, 0,044 Kg de CO2.
Iéna – Chaussée d’Antin-Lafayette, distance inconnue, métro ligne 9, 0,013 kg de CO2.
Rue Saint-Lazare – Gare du Nord, 2 km en taxi 7,0,182 kg de CO2.
Paris-Nord – Aulnoye-Aymeries, 217 km en train, 5,500 kg de CO2.
Grand-Fayt – Aulnoye-Aymeries – Grand-Fayt, 24,4 km en automobile, 2,220 kg de CO2.
6 décembre
Levé à sept heures. Feu, café. Longue discussion avec Patrice Dion à Toulouse, un ami d’Olivier Marchesi rencontré l’autre jour à ma conférence sur l’Anthropocène à Saint-Vaast. Patrice est un ancien designer automobile. Il a tout lâché pendant le confinement pour expérimenter la photographie sur végétaux. Il vit au cœur d’une forêt de plus d’un hectare, qu’il a plantée lui-même depuis trente ans sur un terrain dont il a petit à petit réparé le sol, et où vivent cerfs, blaireaux, fouines et prospèrent de nombreuses espèces de végétaux qu’il utilise pour sa photographie. Il est accueillant, sans aucune prétention, opiniâtre, obsédé par son sujet. Il organise des stages, l’été car il faut un beau soleil pour une image bien contrastée. J’en serai. Je lui ai demandé de me tenir informé de ses premières dates, le stage étant limité à quatre participants. Chez lui toutefois, comme chez tout les adeptes de ces pratiques dites alternatives, subsiste la question du négatif. Ici aussi il faut passer par un contretype, qu’il obtient généralement par tirage pigmentaire sur transparent. Cette contradiction avec l’ambition écologique de la démarche n’entre pas dans notre conversation pour l’instant. J’espère que nous aurons l’occasion d’en discuter. J’aimerais qu’elle ne soit pas niée, pas juste acceptée faute de mieux. Pour le moment seul Lucas Leffler me semble aller au bout de son idée en rejetant la dimension écologique.
7 décembre
Levé à six heures. Feu, café. Marie m’emmène à la gare. En route vers Bonnieux pour l’enterrement de Denis Brihat. Paris fébrile pour cause de réouverture de cathédrale avec invités sous protection. Train presque vide. Wagon détaché ? « Cramponne-toi, Milou ! ». Mais non. Une fidèle locomotive nous emmène à deux cent soixante kilomètres par heure. Pour à peine plus d’un kilogramme de dioxyde de carbone jusqu’Avignon à très court terme, mais lorsqu’il s’agira de traiter les déchets radioactifs issus de ce mode de transport flattant notre obsession pour la vitesse et le confort, les humains auront un calcul à refaire. Ou ce ne sera plus le temps des calculs. La suite du trajet ne vaut guère mieux : loué une voiture à la gare d’Avignon pour parcourir les quelque cent kilomètres jusqu’à l’église basse de Bonnieux et retour. Une voiture qui se déverrouille au téléphone, après avoir photographié carrosserie et habitacle sous divers angles. À l’église il y a du monde. Que je connais : Jean et Fanny Sudre, Didier Brousse, directeur de Camera Obscura, Alain Gualina, que je n’avais plus vu depuis longtemps, Alfons Alt, qui a quitté la Friche pour s’installer ici, Pierre-Jean Amar évidemment, Hans Silvester, Stéphane Lecaille, qui a repris la présidence de Présence(s) Photographies à Montélimar, Frédéric Dol et Marie-Claude Marseille de la galerie Retour de Voyage à L’Isle-sur-la-Sorgue… Solange, ses enfants Anne et Pierre, ses petits enfants précèdent l’arrivée du corbillard. Denis est là-dedans. À peine croyable. Que c’est triste. Dans l’église le prêtre fait avancer les gens vers l’avant car à l’arrière on n’entend rien qu’un écho brouillé. Aussi je me retrouve assis entre Alfons et Pierre-Jean, lequel lit un magnifique texte d’hommage. Une ode à la lenteur, à l’obsession, à la frugalité, à la connaissance artisanale, au potager, à tout ce qui animait cet homme – et où incidemment je reconnais ce dont j’ai espéré pour ma part investir cet emménagement dans l’Avesnois. Je l’entends comme un rappel à l’ordre, dans cette période de l’année où mes occupations alimentaires vident mes jours de tout liberté d’action et de pensée personnelles et artistiques, et me mettent sur les routes à grande débauche de carbone. Le prêtre, qui n’y connaît pas grand chose en photographie mais fait preuve de bonne volonté, tente notamment dans une homélie poussive des analogies entre la lumière divine et celle qui nous tient lieu d’encre. Analogies naïves et bancales, qui font sourire Pierre-Jean dans ma direction. Un peu de complicité avec cet homme que je ne connais pas. Transmis à Anne, Pierre et Solange les excuses, condoléances et pensées de Fabienne et Dominique, précisément en train de faire à VU’ ce que Denis a fait si longtemps et si bien : transmettre. Didier Brousse d’ailleurs nous explique, à Jean Bernard qui fut stagiaire puis assistant de Denis, et à moi, avoir expliqué à ses parents à l’époque désirer faire le stage de Denis, dont il avait entendu parler dans une revue. Après la messe, sans eucharistie, monté vers le cimetière avec Alfons. Salué Nico Foss, l’encadreur de l’Œil vert, que je croise ici et là depuis des années. Nous convenons enfin de nous voir à Paris lors de mon prochain voyage. Repris la route. Reposé l’automobile où je l’avais prise en ayant tout juste pu remettre cinq litres de gazole dans le réservoir, photographié intérieur et extérieur dans la lumière d’un réverbère. Mes gestes me semblent absurdes. Verrouillé les portières avec mon téléphone. Je ne devrais pas être en train d’accomplir ces formalités. Mais sans cela j’aurais manqué cette cérémonie et je m’en serais voulu pour le reste de mes jours. Et c’est à coup d’exceptions de ce genre à ce que nous savons cohérent et honnête et à la hauteur de nos exigences, que petit à petit nous perdons pied. Repris le train pour Paris.
Grand-Fayt – Aulnoye-Aymeries – Grand-Fayt, 24,4 km en automobile, 2,220 kg de CO2.
Aulnoye-Aymeries – Paris-Nord, 217 km en train, 5,500 kg de CO2.
Paris-Nord – Paris-Gare-de-Lyon, distance inconnue, RER D, 0,047 kg de CO2.
Paris-Gare-de-Lyon – Avignon TGV, 690 km en train à grande vitesse, 2,001 kg de CO2.
Avignon TGV – Église basse de Bonnieux – Avignon TGV, 96,4 km en automobile de location, 9,448 kg de CO2 8.
Avignon TGV – Paris-Gare-de-Lyon, 690 km en train à grande vitesse, 2,001 kg de CO2.
Paris-Gare-de-Lyon – Gambetta, distance inconnue, bus ligne 61, 0,253 kg de CO2.
8 décembre
Levé à sept heures. Bus 26 vers la gare du Nord. Gare glaciale. Train vers Aulnoye-Aymeries. Kantipur dans le train. Marie m’attend. Fin de journée sereine, à ranger mes affaires et documents. Cuisiné un curry avec les navets du jardin. Couché tôt. Relevé aussitôt pour noter ceci que, dans un demi-sommeil, me sont revenues des images d’un ancien rêve, de plusieurs années, jamais noté, jamais remémoré, et pendant quelques millisecondes, aussi brèves que le temps qu’on a pour empêcher l’insomnie de s’installer, des images d’une clarté fulgurante et, si l’on veut les garder, qu’il faut rassembler à coup de mots saisis au vol et se répéter incessamment jusqu’à ce qu’on accède à un moyen d’écrire. Redescendu donc, pour écrire. C’était un bassin de nation, façon Neptunium de Schaerbeek dans les années 1980, des coursives avec cabines, des couloirs et des escaliers, qu’il fallait emprunter en tous sens sans savoir pourquoi. Peut-être dans le rêve originel les emprunter avait-il un sens, mais ce soir je n’ai plus que la vision de mes allers et venues dans ce bâtiment, impérieux mais injustifiables.
Gambetta – Paris-Nord, distance inconnue, bus ligne 26, 0,325 kg de CO2.
Paris-Nord – Aulnoye-Aymeries, 217 km en train, 5,500 kg de CO2.
Grand-Fayt – Aulnoye-Aymeries – Grand-Fayt, 24,4 km en automobile, 2,220 kg de CO2.
9 décembre
Levé à sept heures vingt. Feu, café. Journée sur l’ordinateur. Lise Sarfati longuement au téléphone pendant que le souper mijotait. Conversation Chantal Akerman. Après le souper, la discussion avec Lise dans la tête, m’est revenu celle avec Stéphane Duroy l’autre jour à Paris Photo, où il avait été question d’elle. Je lui sais gré de m’avoir permis de réfléchir à ce que certaines de mes images effectuent ou n’effectuent pas. Mais je me suis posé, comme Isabelle Stengers dans une ancienne émission radiophonique[9], la question de savoir « à partir de quel milieu » – avec quelle assurance en la justesse de son jugement – parle quelqu’un qui se sent autorisé à entreprendre un collègue qu’il ne connaît que de vue et approximativement, certes de vingt-cinq ans son cadet mais tout de même pas un perdreau de l’année, qui n’a rien demandé ou à tout le moins pas verbalement, pour lui exposer ce que son travail n’est pas. Quand bien même a-t-il raison : d’où tire-t-on un tel aplomb, ou un tel sursaut pédagogique, selon le point de vue ? Peut-être avait-il simplement senti que j’étais effectivement preneur d’une critique de mon travail par Stéphane Duroy. Je ne sais. C’était étrange. Ou qu’on venait de la même école, celle des voyageurs. Car il a publié jadis des livres sur des villes ou des pays, Berlin notamment, dans des collections qui n’avaient rien d’un écrin pour auteurs. Je me rappelle qu’à un moment il m’avait parlé de cette veine des photographes voyageurs, Eric Valli et Diane Summers, Olivier Föllmi, Rolland et Sabrina Michaud, tous ces gens que j’ai aimés, et s’était étonné que je les connaisse. Sans doute, si m’être nourri à eux ne m’a pas empêché d’arriver chez moi, lui s’en est-il sorti artistiquement mieux que moi.
10 décembre
Levé avant sept heures. Feu et café. Kantipur au lit. En route vers Enghien avec la 504 pour la prêter à ma sœur, qu’elle puisse évacuer les gravats de la petite maison qu’elle a pu heureusement s’acheter. Oublié de recharger mon téléphone la nuit dernière, qui se trouve dépourvu d’électricité une fois dans Mons où, partant, je me perds. Demandé mon chemin à un pompiste de Lahore qui vient d’arriver en Belgique après dix-sept ans d’Allemagne et huit d’Espagne. De ces pays, il parle les langues, mais d’ici, pas encore, c’est trop tôt. Il ne connaît pas les lieux de mon itinéraire, Soignies et Enghien, mais peut m’aider à recharger mon téléphone. On cause pendant que ça recharge, moi en buvant un café. Il n’a même pas une carte routière en papier à me vendre. Il se rappelle ce que c’était, mais voilà longtemps qu’il n’en a plus vu, ni en Espagne ni en Allemagne. Belle après-midi avec ma sœur, qui s’entend bien avec la 504. Elle me raccompagne jusqu’ici. Le soir, regardé un film de Stéphane Breton sur les Kirghizes.
Grand-Fayt – Marcq, 78 km en camion diesel, 16,116 kg de CO2.
Marcq – Grand-Fayt – Marcq, 156 km en automobile, 11,70 kg de CO2 10.
11 décembre
Réveillé à six heures, debout peu après. Feu, café, guitare. Journée sur l’ordinateur pour préparer un dossier de proposition d’acquisition au Centre national des arts plastiques. La date limite est dans une semaine. Rassemblé une revue de presse, un exercice que je n’avais jamais réalisé, dû aussi mettre à jour et remanier un document mêlant curriculum et portfolio. N’étaient les courses en villes, je n’ai fait rien d’autre. Ce qui m’a mené jusque minuit et je n’ai pas fini. Départiciper ? Tu parles ! Je passe plus de temps que jamais à écrire des dossiers. Il va falloir sérieusement réévaluer cet équilibre.
Grand-Fayt – Avesnes-sur-Helpe (magasin d’alimentation) – Grand-Fayt, 21,8 km en automobile, 1,983 kg de CO2.
12 décembre
Réveillé à six heures moins quart. Redormi jusque sept. Feu, café. Continué un peu le dossier de demande d’aide jusqu’à ce qu’il soit l’heure d’aller chercher Marin à la gare, qui vient pour travailler sur ses textes toute la journée. Travail fluide. Rien fait d’autre sinon cuisiner une tarte aux carottes du jardin des parents de Marie pour le déjeuner. Avant dix-neuf heures Marie l’emmène à la gare en chemin vers sa chorale.
Grand-Fayt – Aulnoye-Aymeries – Grand-Fayt, 24,4 km en automobile, 2,220 kg de CO2.
Grand-Fayt – Aulnoye-Aymeries – Grand-Fayt, 24,4 km en automobile, 2,220 kg de CO2, 11.
13 décembre
Levé à six heures et demi. Feu, café. Journée entière sur l’ordinateur pour rassembler les éléments pour ce dossier de proposition d’acquisition – une version très limitée du portfolio de L’Usure du monde avec des tirages en encres pigmentaires. J’essaie, mais pas sûr que le Cnap soit le bon endroit. Au moins aurai-je réfléchi à ce que cela veut dire.
14 décembre
Levé à six heures et quart. Feu, café. Journée à Beaumont pour les quatre-vingts ans de la maman de Marie, avec des amis qu’elle n’avait plus vus depuis vingt-cinq ans. Moi, en cuisine. Belle énergie. Maison glaciale au retour. Du mal à me réchauffer.
Grand-Fayt – Beaumont – Grand-Fayt, 77 km en automobile, 7,007 kg de CO2.
15 décembre
Réveillé à sept heures. Café et Kantipur. Impossible de me réchauffer. À l’ordinateur pour terminer le texte de présentation et de motivation de ma proposition d’acquisition au Cnap. Fini vers seize heures. Sorti faire le tour du village avec l’appareil en plastique. Quelques images. Parlé avec le voisin. Au retour, des moineaux s’affairaient dans une anfractuosité de la façade, que je n’avais pas encore repérée. Je vais leur remettre des graines. Marie, partie à la chorale à treize heures, rentre pour le souper. Regardé le dernier film de Stéphane Breton que nous n’avions pas encore vu, un film photographique onirique, Nuages apportant la nuit.
16 décembre
Levé à sept heures moins quart. Feu, café. Parti à Landrecies chercher une planche de bois pour un nouveau bricolage. Marin en vidéo-conférence l’après-midi. Réessayé de photographier les moineaux nidifiant dans le trou du mur de la cuisine. En vain à ce jour.
Grand-Fayt – Landrecies (magasin de bois) – Grand-Fayt, 14,8 km en automobile, 1,347 kg de CO2.
17 décembre
Levé à six heures et demie. Feu, café. Journée à Enghien, à faire des trajets vers la déchèterie avec la 504 pour ma sœur. Passé par Maubeuge à l’aller pour acheter des victuailles. Par les petites routes au retour. Impression d’avoir fait plaisir et été utile. Pour quatorze kilos de carbone tout de même. De Diamantino Quintas, reçu deux bons contacts concernant l’autochrome : Simone Appelby au CNC et, qu’il m’avait promis, Hanako Murakami.
Grand-Fayt – Maubeuge – Enghien – Grand-Fayt, 158,3 km en automobile, 14,405 kg de CO2.
18 décembre
Réveillé à sept heures moins quart. Café et Kantipur. Feu. Rangement. À la gare peu avant seize heures. Dormi dans le train, épuisé. Trois Russes parlaient fort. Deux commerciaux aussi, mais partis plus loin. À la galerie Poggi pour voir l’exposition Sophie Ristelhueber dont m’a parlé Lise. Cinq photographies d’animaux accrochées au mur. Et des images d’années de travail posées au sol, en pagaille, certaines face contre le mur, ne montrant que le dos de leur cadre, « en grève » dit le texte, comme pour nier la capacité d’un accrochage photographique à répondre à aucune question et de la photographie même à rien changer voire ne rien apporter à ce qu’elle documente. Le titre What the Fuck! renvoie pour moi à ces petits livres d’images absurdes et drôles collectées sur Internet parus il y a quelques années et, partant, me semble un peu léger eu égard à la gravité du constat de la perte de la photographie comme outil de questionnement du monde. Pas d’exposition du tout n’eût-il été plus radical ? Tout de même cette exposition m’a plu. J’ai acheté un petit livre reproduisant un entretien donné jadis par la photographe, sur l’origine de son entrée dans le métier. Le soir, Rémi Bordes, mon professeur de l’Inalco, a convoqué qui le voulait parmi ses élèves anciens et actuels dans un restaurant népalais dans le dix-neuvième arrondissement. धेरै समय नेपाली बोल्छौँ हामी । Anoushka, notre amie des Pilles grâce à qui j’ai entrepris ces études, est là. Il y aussi un jeune qui a réalisé son mémoire de mastère sur l’album népalais de Gustave Le Bon sous la direction d’Édouard de Saint-Ours au musée Guimet. Étrange coïncidence. À Rémi j’expliquais que pour bien me sentir photographe, ou vivant avec une pensée constructive de la photographie, et bien travailler à mes projets personnels, je devais avoir fait mon heure de népalais et mon heure de guitare avant toute autre chose. Je n’y parviens que rarement. Il voit bien de quoi je parle, lui dont les projets sont sans cesse en souffrance. N’oublierai jamais cette réflexion de Denis Brihat à Michel Tournier dans le numéro de Chambre Noire que celui-ci consacrait à celui-là en 1967 : « quand je vais chercher mon pinard à la coopérative de Lourmarin, je fais déjà de la photographie ». Pour le moment, guitare, népalais et travail personnel dorment. Si je n’attaque pas de suite les obligations, je ne finis pas la journée à temps pour dormir et me réveille le lendemain par trop épuisé. Rien n’est aligné : moi et mes journées, sur deux droites gauches.
Grand-Fayt – Aulnoye-Aymeries – Grand-Fayt, 24,4 km en automobile, 2,220 kg de CO2.
Aulnoye-Aymeries – Paris-Nord, 217 km en train, 5,500 kg de CO2.
Gare du Nord – Étienne Marcel, distance inconnue, métro ligne 4, 0,008 kg de CO2.
Châtelet – Laumière, distance inconnue, RER B et métro ligne 5, 0,029 Kg de CO2.
Laumière – Place Léon Blum, 4 km en taxi, 0,480 kg de CO2 12.
19 décembre
À Oberkampf en métro tant il pleuvait. Rendez-vous avec Michel Rolland pour un café et un peu d’amitié, causer guitare et littérature. Il m’a écrit avant-hier pour s’étonner de n’avoir pas de nouvelles depuis longtemps. C’est symptomatique de mon état de suroccupation. Michel fait bien de me rappeler à l’ordre. Il me prête Contact, de Matthew Crawford, dont il m’a déjà parlé plusieurs fois. Puis à VU’ pour un nouvel atelier pro. Il faut que je voie un participant à midi quart. Émeline arrive en même temps que moi. On part prendre un verre en attendant. On parle de ce prix Mentor dont elle est lauréate, et de cette série folle sur la plage. Atelier pro de VU’ jusque dix-huit heures avec, sur cinq participants, trois anciens de mon atelier d’écriture. Pris le train du soir. Attendu Marie, qui était à la chorale jusque neuf heures et demie, dans un café d’Aulnoye-Aymeries où je n’ai pu m’asseoir seul. Un homme au bar qui avait envie de causer a fait en sorte qu’à son envie je ne puisse me soustraire. Lui, se disant bouquiniste en bandes dessinées et ayant eu un pied-à-terre à Bruxelles, c’est-à-dire ayant fréquenté un temps semblant bref une femme qui habitait là et vivait dans une rue tirant son nom de la royauté mais qu’il ne pouvait plus nommer. La rue Royale Sainte-Marie ? Impossible à le lui faire dire. Les concerts de l’Ancienne Belgique lui manquent. À la maison tard.
Voltaire – Oberkampf, distance inconnue, métro ligne 9, 0,005 kg de C02.
Hôtel de ville – Trinité-d’Estienne d’Orves, distance inconnue, métro lignes 1 et 12, 0,026 gr de C02.
Paris-Nord – Aulnoye-Aymeries, 217 km en train, 5,500 kg de CO2.
Grand-Fayt – Aulnoye-Aymeries – Grand-Fayt, 24,4 km en automobile, 2,220 kg de CO2.
20 décembre
Levé à sept heures. Feu et café. En rangeant des documents, retrouvé cette note extraite au vol à la radio en 2019, de la parole d’un certain Laurent Chalumeau : « Je suis une horloge arrêtée qui donne l’heure juste une fois par décennie. Je suis au-delà de la nostalgie. Je suis complètement calcifié, et minéralisé. » J’avais oublié cette note, et ne sais qui est Laurent Chalumeau. Mais je vois assez bien l’idée. Plus que de la voir, je m’y sens chez moi. J’aime aussi la suite : « Et je suis d’un sectarisme bienveillant. C’est-à-dire que je ne fais aucun prosélytisme pour rien, mais surtout, qu’on ne vienne pas m’emmerder à vouloir me faire découvrir des trucs ». Je ne le suis pas jusqu’à cette dernière idée. Je n’ai jamais eu autant envie de « découvrir des trucs » que depuis ce déménagement, de quelque façon que je m’en défende. Mais j’aime cette radicalité. Matinée, Marin. Après midi, mentorat. Le reste du temps, planté deux rosiers, arraché un poteau et rangé des épices. La maman et la putain de Jean Eustache pour finir la journée, mais ennui. Abandon au tiers.
21 décembre
Levé à sept heures et demie. Feu et café. Journée dans l’atelier, à construire un coffre avec la planche ramenée l’autre jour de Landrecies. Utilisé quasi tous mes outils. Antoine depuis Miami entre seize et dix-sept, qui voulait parler de ses doutes. Au revoir les enfants de Louis Malle, que j’aime de plus en plus.
22 décembre
Levé à huit heures et demie. J’étais épuisé. Café et Kantipur. Cassé la vitre du poêle ce matin. Mais elle tient toujours en place. Continué le coffre. Je suis en retard pour le Bec en l’air, sans parler des projets pour lesquels j’ai reçu de l’argent public, mais je me donne mon dimanche encore sinon je vais exploser.
23 décembre
Réveillé à six heures et quart, levé une demi-heure plus tard. Feu, café. Repris le travail sur le catalogue des acquisitions photographiques. Courses en ville en début d’après-midi. Fini le coffre au retour. Retournée au catalogue. Dal-bhat ce soir, curry de haricots et carottes des jardins (le nôtre et celui des parents), chutney de tomates vertes de la serre, pommes-de-terre du jardin au cumin.
Grand-Fayt – Avesnes-sur-Helpe (magasin d’alimentation) – Grand-Fayt, 21,8 km en automobile, 1,983 kg de CO2.
24 décembre
Levé à six heures et demi. Feu, café. Travaillé jusqu’à l’heure de partir chez les parents pour le réveillon.
Grand-Fayt – Falaën, 83 km en automobile, 7,553 kg de CO2.
25 décembre
Levé à sept heures et demi. Café et Gilles Jourdan au lit. Quitté les parents vers onze heures. En cuisine dès seize heures pour accueillir la famille de Marie.
Falaën – Grand-Fayt, 83 km en automobile, 7,553 kg de CO2.
26 décembre
Levé à huit heures quart. Café, feu. Tout le monde repart vers quinze heures. Commencent dix jours que j’espère plus calmes, jusqu’au départ pour Genève le 7 janvier. Le soir, vu Femmes au bord de la crise de nerfs d’Almodovar, Jean-François Urbain en tête.
27 décembre
Levé à sept heures. Café, feu. Matinée à l’ordinateur pour avancer sur le livre des acquisitions photographiques. Marin en vidéo-conférence tout l’après-midi. Le soir, vu ensemble encore un Almodovar, Talons Aiguilles, manqué aussi, à l’époque, 1992.
28 décembre
Levé à sept heures et quart. Feu, café. À Maroilles à vélo. Acheté des timbres pour envoyer mes cartes de vœux. Après-midi à l’ordinateur pour avancer sur le livre des acquisitions photographiques. Déchiffré la Suite de Compostelle de Frederic Monmpou. Le soir, vu ensemble encore un plus vieil Almodovar, Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça, je pense que c’est le titre. Je passe de bons moments, mais ne sais que penser de ce cinéma. Je finis par m’ennuyer. Si : Almodovar me donne envie de parler l’espagnol. Enfin, surtout Carmen Maura, dont l’élocution est vertigineuse. Mais que ferais-je avec cette langue ? Aussi ceci : tout le cinéma désormais, quel qu’il soit, je le regarde avant tout comme symptôme de notre assuétude aux combustibles fossiles. Presque aucune histoire du cinéma n’est possible sans l’automobile ou l’aviation. Ce blocage négocié, il m’arrive d’accéder à l’histoire, mais c’est de plus en plus rare.
29 décembre
Levé à huit heures mois quart. Feu, café. Quelques photographies dehors. L’image de ce jour vient en ligne directe de Stalker, qui d’ailleurs me manque, il faudrait le repasser. J’ai mis des graines aux oiseaux, mais je ne les vois pas venir les manger, alors que le niveau de la mangeoire fond à vue d’œil. Un tour dans le village avec Marie, avant la nuit. Quelques images encore avec l’appareil en plastique. Vu un nouvel endroit où nichent des oiseaux, sous la gouttière du cellier. Je crois qu’il y a un malentendu dans la formulation initiale de ma recherche. « Comment continuer de raconter des histoires avec la photographie dans l’Anthropocène ? », avais-je posé. Fichtre, que pourrais-je jamais en savoir ? Chacune fait ce qu’il veut. La question ainsi établie semble appeler de ma part un avis absolu sur le médium en temps de dérèglement et dès lors impliquant l’ensemble des photographes. Comme s’il me revenait, à moi, de dire ce que la photographie peut ou doit faire, et qui et comment. Comme s’il n’y avait qu’un seul moyen, le mien, de résoudre la contradiction entre les conséquences écologiques de la photographie et sa capacité à questionner le monde. Et je continuais : « tout en vivant à la hauteur des exigences que nous impose collectivement, etc. ». Mais ce n’est pas à moi de juger les actions des autres. Ainsi serais-je peut-être seulement en train de comprendre que la question est bien plutôt, et bien plus modestement : suis-je, moi, capable de continuer à créer une forme par laquelle transposer mon expérience du monde, dans et malgré l’Anthropocène et ce qu’il me fait ? M’arrive-t-il encore de reconnaître une forme dans le réel s’appariant avec une image latente existant à l’intérieur de moi depuis longtemps, et dont la transposition en photographie me semble impérieuse ? Et, en découlant : si oui, une telle forme raconte-t-elle quelque chose à quelqu’un ? Ce n’est jamais que cela dont il s’agit : quel rôle pour moi ? pédagogue ou encore un peu créateur ? Je n’ai pas à me prononcer sur le médium.
30 décembre
Levé à sept heures et demie. Café, feu. Fini une première étape de mon travail pour le livre sur les acquisitions. Sorti tailler le petit prunier dans une bruine en suspension. Une photographie encore, mais à refaire, manquant de précision.
31 décembre
Levé à sept heures et demie. Café, feu. Courses en ville avant deux heures de vidéo-conférence avec Marin. Guitare et lecture. Repas tranquille le soir. Au lit vers vingt-deux heures. Réveillé par des feux d’artifices l’année suivante.
Grand-Fayt – Avesnes-sur-Helpe (magasin d’alimentation) – Grand-Fayt, 21,8 km en automobile, 1,983 kg de CO2.
1er janvier 2025
Levé à sept heures. Café, feu. Cuisiné un risotto pour les parents. Partis leur souhaiter la bonne année chez eux pour la première fois depuis vingt ans sans doute, et les aider à rentrer du bois. Par manque d’attention, fatigue, en manipulant la remorque chargée d’une demi-tonne de bûches, me suis coincé la main droite entre le timon et un pilier de briques. Puis souhaité la bonne année aux parents de Marie à l’heure des galettes. Retour à la maison avant dix-neuf heures.
Grand-Fayt – Falaën – Lez-Fontaine – Grand-Fayt, 167 km en automobile, 15,197 kg de CO2.
2 janvier
Levé à sept heures. Café, feu. Partis avec Marie chez ma sœur à Enghien l’aider à démonter des cloisons et des faux-plafonds et décroûter des murs dans sa petite maison. Soupé ensemble le soir. À la maison à vingt-deux heures.
Grand-Fayt – Enghien – Marcq – Grand-Fayt, 158 km en automobile, 14,378 kg de CO2.
3 janvier
Levé à sept heures. Feu, café. Des vidéo-conférences pour VU’ dès neuf heures, puis Marin. Entre les obligations, parti à l’hôpital d’Avesnes faire une radio de ma main. La radio ne sera lue par un médecin que mardi prochain le 7 janvier. L’infirmière qui me fait passer l’examen ne voit pas de cassure, mais c’est le médecin qui donnera l’avis définitif.
Grand-Fayt – Avesnes-sur-Helpe (hôpital) – Grand-Fayt, 21,1 km en automobile, 1,920 kg de CO2.
4 janvier
Réveillé à six heures quart. Feu, café. À huit heure trente à Avesnes. Au retour, des courriels m’enjoignent à reprendre le travail sur le catalogue des acquisitions. Rien fait d’autre jusqu’à dix huit heures trente.
Grand-Fayt – Avesnes-sur-Helpe – Grand-Fayt, 20,8 km en automobile, 1,893 kg de CO2.
5 janvier
Levé à septe heures. Feu, café. Journée presque entièrement consacrée à l’écriture de mes cartes de vœux annuelles. Paisiblement. Le Soir, Jeremiah Johnson de Sydney Pollack. Depuis combien d’années n’avais-je pas regardé un film américain ? Dead man devient une sorte d’hommage à ce film, plus de vingt ans après. Assez ébloui par les paysages en Panavision. Plutôt séduit par la façon dont ce film esquive le risque de l’exotisme. Philip Blenkinsop rôdait certainement dans ces parages tout chargés de sauvagerie et de mort. J’ai écrit à Yonola pour avoir leur adresse à Die, que je n’ai jamais notée, pour envoyer ma carte de vœux, mais pas de nouvelles.
6 janvier
Levé à sept heures. Feu, café. À Lille à dix chez le docteur. Manqué m’endormir sur la route retour. Grande fatigue aujourd’hui. Préparé mes bagages pour une semaine Suisse, qui commence demain.
Grand-Fayt – Croix – Grand-Fayt, 189,4 km en automobile, 17,235 kg de CO2.
7 janvier
Levé à sept heures moins quart. Feu, café. Pour rallier Paris, en route vers la Suisse où je vais travailler en studio avec Laurence puis me former au collodion avec Olivier Jeannin, j’avais choisi le nouveau train lent mis en place depuis Bruxelles et qui dessert opportunément Aulnoye-Aymeries. Départ annoncé à huit heures quarante-huit, une heure de gagnée sur le train habituel, et encore largement en avance, mon train pour Genève n’étant qu’à midi dix-huit à la Gare de Lyon. Raté. À mon arrivée ce train était annoncé avec une heure d’un retard en augmentation continue selon un voyageur, me faisant potentiellement manquer ma correspondance. J’ai dû prendre un autre train pour Paris via Lille. Je me réjouissais de cette nouvelle liaison bon-marché entre Bruxelles et Paris via la maison. Mais inutilisable car en quelques semaines d’exploitation, il semble que les retards soient fréquents sur cette ligne. Dommage, c’était une bonne idée. Retrouvailles avec Laurence. Passés par Cologny. Reconnu en passant le temple où avait été donnée la cérémonie funéraire d’Éliane Bouvier.
Grand-Fayt – Aulnoye-Aymeries – Grand-Fayt, 24,4 km en automobile, 2,220 kg de CO2.
Aulnoye-Aymeries – Lille-Flandres, 91 km en train, 2,302 kg de CO2.
Lille-Flandres – Paris-Nord, 218 km en train à grande vitesse, 0,632 kg de CO2.
Paris-Nord – Paris-Gare-de-Lyon, distance inconnue, RER D, 0,047 kg de CO2.
Paris-Gare-de-Lyon – gare de Genève-Cornavin, 547 km en train à grande vitesse, 1,586 kg de CO2.
Gare de Genève-Cornavin – Anières, 11,4 km en automobile électrique, 0 kg de CO2 13.
8 janvier
Réveillé à sept heures. Matinée à organiser la scénographie de notre exposition à Chandolin en février. Après-midi au laboratoire, préparé tout le matériel, le margeur, les bains. Toutes sortes de petits problèmes techniques apparaissent, des taches, des imprécisions, des masquages aléatoires, qu’il faut résoudre. J’apprends. J’aime ça, je crois. Je n’avais pratiqué le laboratoire qu’une fois, avec Jean-François Urbain, dans la cave des parents, en 1989. En fin de journée nous avons validé trois tirages des images népalaises de Laurence, sur un papier résine satiné très doux.
Anières – Cologny – Anières, 6,6 km en automobile électrique, 0 kg de CO2.
9 janvier
Réveillé à sept heures moins quart, optimiste, mais pas debout avant huit. Au laboratoire à neuf et pour une bonne partie de la journée. Tiré cinq images supplémentaires. Et pour mon plaisir, deux photographies d’Olga, retrouvées sur un film noir et blanc fait sans doute avec l’appareil en plastique, en 2015 dit l’enveloppe, lors d’une randonnée peut-être sur le Causse Méjean. C’est son anniversaire. Vingt-trois ans déjà, passés si vite. « C’était hier… », remplacer « plage noire de la Caspienne » par « colline noire des Baronnies ». On se parle un peu le matin, elle veut la recette du risotto. Et parlé à Marie le soir. À la maison, entre neige, froid et crue de l’Helpe mineure, elle se sent coincée. Cuisiné tard un dal parfumé. Au lit passé minuit.
10 janvier
Levé à huit heures. En route vers Berne, visiter Olivier Jeannin. Accueil également chaleureux. Déposé mes bagages chez lui à Wattenwil, puis en route vers Gurzelen, où se trouve les ateliers d’Olivier : celui de menuiserie qui lui fait gagner sa vie et celui de photographie qui le fait la rêver. Petit village au milieu des champs. Un ancien hangar agricole qu’il occupe seul, au bord d’un grand champ, avec vue sur les Alpes, mais aujourd’hui en particulier, sur les nuages couvrant les Alpes. Préparé du collodion humide, du révélateur et du fixateur pour demain. Olivier pèse iodure et bromure au dixième de gramme près, mais à certaines étapes verse les composants à vue. J’aime ce mélange de précision et d’aléatoire, de sérieux et de bricolage. Heureux d’être là.
Anières – gare de Genève-Cornavin, 6,6 km en automobile électrique, 0 kg de CO2.
Gare de Genève-Cornavin – Gare de Berne, 158 km en train, 9,080 kg de CO2 14.
Gare de Berne – Wattenwil, 24,1 km en automobile, 2,482 kg de CO2 15.
Wattenwil – Gurzelen – Wattenwil, 9,6 km en automobile, 0, 988 kg de CO2.
11 janvier
Levé à sept heures et demi. Thé aux épices. Café. Puis en route vers Gurzelen. Olivier fait une ou deux plaques pour me montrer le coulage du collodion sur le verre, puis la sensibilisation de la plaque, puis le fonctionnement de la chambre Arca Swiss avec les dos cinq par sept et huit par douze, et différentes optiques. Je découvre un nouveau monde. Rentrés déjeuner. Olivier, qui a fait l’école hôtelière, prépare un curry vert bien épicé. Puis repartis aussitôt. Cette fois c’est moi qui travaille, sous le regard et les indications bienveillantes d’Olivier, sur plaque d’aluminium noir d’abord, puis sur verre. Ainsi, réalisé mes premiers ferrotypes et un ambrotype. À cinquante-deux ans il n’est jamais trop tard pour apprendre. Quatre ou cinq images, évidemment, comme toute première expérience, séduisantes et émouvantes. C’est à la fois simplissime et difficile, tant il y a de paramètres impossibles à ajuster qui influencent le résultat. Rentrés pour aller chercher Caroline à la gare de Wattenwil. Heureuses retrouvailles.
Wattenwil – Gurzelen – Wattenwil, 9,6 km en automobile, 0,988 kg de CO2.
Wattenwil – Gurzelen – Wattenwil, 9,6 km en automobile, 0, 988 kg de CO2.
12 janvier
Levé à sept heures. Parti en balade avec Caroline et Olivier remonter la petite vallée de la Gürbe. Étrange sensation dans ce village, comme incapable de croire qu’il existe, que quelque chose de tangible s’y passe, beau par endroits, quelconque souvent, peu d’activités, dont une boucherie et un bijoutier, dans un paysage majestueux. Pourquoi vit-on ici ? Longtemps, pour l’agriculture sans doute. Mais aujourd’hui ? Un village suspendu, relié au siècle par les mêmes terminaux que partout ailleurs, la même dépendance au carbone, sans autre spécificité apparente que d’abriter, j’imagine, des habitants se sentant de là. Est-ce cela la postmodernité ? Tous continuant nos vies qui détruisent nos vies, dans un cadre verrouillé, sans possibilité d’écart ? Ce sentiment serait à préciser. Dans la Drôme nous avions l’impression d’être entourés de gens qui tentaient sérieusement de briser cet asservissement au carbone. Et surtout, que n’être pas de là rassemblait. Après le déjeuner raccompagné Caroline à la gare puis retourné faire du collodion. Plaques plutôt ratées cet après-midi, premières erreurs de débutant, sujets trop difficiles. Avec une sensibilité d’un Iso, les poses sont longues. Réussi tout de même à photographier des poules derrière un grillage, mais mal révélé la plaque, qui n’est pas homogène. Pareil pour la gouttière du bâtiment, présentant des contrastes trop forts pour que et la neige du toit et la gouttière soient exposées correctement. Et là aussi, développement hasardeux. Le passage dans le fixateur est sidérant. Je pourrais rester là-devant des heures à regarder l’image apparaître et se former, et le collodion perdre ses traces blanches. Olivier me prête sa chambre Graflex Speed Graphic quatre par cinq pouces, et quelques châssis. Je vais pouvoir faire du grand format. C’est excitant. Mais je n’ai pas de laboratoire, aucune pièce totalement occultable, je ne sais comment je vais faire. Sans doute dans la cave, où maturait autrefois le Maroilles de la ferme, mais où je ne tiens pas debout. Le soir, regardé un reportage d’une demi-heure de Ian Ruhter, Obscura, qui raconte comment ce photographe qui s’est spécialisé dans le collodion a réalisé un ambrotype de sept pieds par cinq pieds six pouces, soit plus de deux mètres sur un et demi. C’est fort beau. C’est surtout marquant de regarder ce film au bout de deux jours à tenter de maîtriser le processus sur des plaques de quatre pouces par cinq. On mesure d’autant plus l’exploit technique. Mais au-delà, les images sont fortes.
Wattenwil – Gurzelen – Wattenwil, 10,5 km en automobile, 1,082 kg de CO2.
13 janvier
Levé à sept heures moins quart. Derniers thé aux épices puis café avec Olivier dans la cuisine. Il me conduit à la gare de Berne. Commence une journée comme je les connais tant, faites de silence, de changements de train, d’alimentation médiocre, de gares surpeuplées et probablement de retards. Mais heureux d’être arrivé à la maison et de retrouver Marie qui s’impatientait.
Wattenwil – gare de Berne (par l’autoroute), 39,8 km en automobile, 4,099 kg de CO2.
Gare de Berne – gare de Genève-Cornavin,, 158 km en train, 9,080 kg de CO2.
Gare de Genève-Cornavin – Paris-gare-de-Lyon, 547 km en train à grande vitesse, 1,586 kg de CO2.
Paris-Gare-de-Lyon – Paris-Nord, distance inconnue, RER D, 0,047 kg de CO2.
Paris-Nord – Aulnoye-Aymeries, 217 km en train, 5,500 kg de CO2.
Grand-Fayt – Aulnoye-Aymeries – Grand-Fayt, 24,4 km en automobile, 2,220 kg de CO2.
14 janvier
Levé à sept heures. Feu, café. Longue journée de vidéo-conférences pour VU’. À la faveur d’un rendez-vous annulé, pu tout de même ranger mes bagages et documents, et trouver une place à la Graflex d’Olivier jusqu’à ce que je conçoive un moyen de développer les plans films qu’il m’a donnés. Soirée calme, mais déjà demain je repars.
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à suivre…
1 Frédéric Lecloux, « La Convivialité I », blog Aux Bords du cadre [en ligne], 10 août février 2024. URL : https://www.fredericlecloux.com/la-convivialite-i-photographie-et-anthropocene/.
2 Il s’est agi d’une Toyota Rav4 hybride rechargeable annoncée émettre 22 grammes de CO2 par kilomètre.
3 Il s’est agi d’une ancienne Volkswagen EOS annoncée émettre 158 grammes de CO2 par kilomètre.
4 Il s’est agi d’une Toyota Corolla hybride annoncée émettre 110 grammes de CO2 par kilomètre.
5 Il s’est agi d’une Clio III break annoncée émettre 106 grammes de CO2 par kilomètre.
6 Frédéric Lecloux, Territoires du cinématographe, Marseille, Le Bec en l’air, 2022, p. 169.
7 Il s’est agi d’une Toyota Auris hybride annoncée émettre 91 grammes de CO2 par kilomètre.
8 Il s’est agi d’une Clio III break annoncée émettre 98 grammes de CO2 par kilomètre.
9 Adèle Van Reeth (prod.), Profession philosophe (53/74) : Isabelle Stengers, de la science à la sorcellerie, Les Chemins de la philosophie [émission radiophonique], France Culture, 31 janvier 2020, 58 min.
10 Il s’est agi d’une Toyota Yaris hybride annoncée émettre 75 grammes de CO2 par kilomètre.
11 Trajet vers la chorale pour Marie recensé cette fois car il concerne mon activité professionnelle, puisqu’elle ramène un élève à la gare.
12 Il s’agissait d’une Škoda break, probablement Octavia, assez récente mais je n’ai pas identifié plus précisément le modèle ni son année. Le modèle le plus récent est annoncé émettre 120 grammes de CO2 par kilomètre.
13 Comme pour les autres automobiles empruntées, cette estimation ne tient pas compte des coûts énergétiques ni de fabrication et de maintenance du véhicule, ni de la production de l’électricité.
14 L’estimation des émissions pour ce trajet provient de la page https://www.virail.ch/trains-geneve-berne.
15 Il s’est agi d’une Kia Ceed SW annoncée émettre 103 grammes de CO2 par kilomètre.
Photographie : Carreaux de ciment et mousse, novembre 2024, de la série « La Convivialité ».
Ce journal fait partie d’une recherche artistique sur la possibilité de photographier dans l’Anthropocène, entamée par nécessité et poursuivie avec le soutien de l’Aide individuelle à la création de la Direction régionale des affaires culturelles du ministère de la Culture. Merci à Léa Bismuth pour son écoute. Le titre de travail de cette recherche, La Convivialité, est directement emprunté à celui du livre d’Ivan Illich (Le Seuil, 1973).