L’Exposition II
Prendre (toute) la mesure de la lumière…
Depuis les séismes des 25 avril et 12 mai 2015, j’ai su ceci : en dépit de la ruine, en dépit de la peur qui nous fera chercher dans chaque rue l’issue la plus proche vers un lieu dégagé si la Terre revenait à trembler, contre nos faiblesses et pour le pays, par respect pour les morts et par empathie pour les vivants, pour leur dire qu’ils ne sont pas seuls et pour la joie d’être parmi eux, il faut revenir au Népal. Revenir y marcher, y prendre son temps, y rêver, s’y perdre. Y être. En parler. Aimer, regarder, écouter : vivre le Népal.
Et le photographier encore. Projet à redéfinir, pour des raisons déjà esquissées dans ces colonnes, tenant en cette question : que peut encore dire la photographie à propos du Népal, malgré les morts et la destruction, sans tomber dans le cliché, la sur-détermination ou l’image interchangeable ? En réalité je n’en sais toujours rien. J’espérais que ce voyage automnal m’aiderait à entamer cette question, mais non. Je suis rentré sans image.
En revanche, ce que le Népal peut dire de la photographie est désormais limpide. Pendant Photo Kathmandu, premier festival de photographie du pays, chacun a pu prendre toute la mesure de la lumière de cette parole. Il s’est passé là, du 3 au 9 novembre 2015, une fusion entre photographie et vie quotidienne, une expérience fluide, inédite, humaine, brillante, si intimement conçue pour y inclure les passants et habitants de Patan qu’elle a sans doute réinventé la notion même de festival de photographie.
Les images sont dans la rue. Sur les murs – presque dans les murs, comme un palimpseste. À pied, à moto, à vélo, les gens s’arrêtent, prennent leur temps, lisent les légendes, les commentent, se prennent en photo… Dans les lavoirs où ont lieu des projections du soir les femmes lavent leur linge au milieu des images… Sur le rebord du mur du marché au légumes de Daughal où sont exposées mes Épiphanies du Quotidien, j’ai placé au pied de chaque image une lampe à huile. Je les allume le soir à 18 heures. Les habitants m’aident. L’un verse l’huile, l’autre remplace les mèches, puis on bavarde autour d’un verre d’alcool de riz, et à la nuit tombée ils mettent les lampes à l’abri des enfants, derrière la photographie de Prashiit. Partout, les gens voulaient que les images restent en place. Mais elles vont partir en voyage dans le pays, que d’autres à leur tour puissent prendre la mesure de leur lumière…
Photographie : Exposition de la série Épiphanies du Quotidien, sur le mur extérieur du marché de Daughal, Patan, Népal, novembre 2015.
Article inédit.